Citation:Le pari indien réussi de Renault
Par Airy Routier
Publié le 10-02-2014 à 15h48Mis à jour à 17h20
Relativement passé sous silence en France, le plantage fut magistral. En 2005, Renault part à la conquête de l'Inde en s'appuyant sur un partenaire de qualité qui est venu le chercher : le groupe Mahindra, l'un des plus puissants du pays, attiré par le succès naissant de la Dacia Logan. Après un bon démarrage, les ventes se sont écroulées. "Ce n'est pas le seul pays ou la Logan n'a pas marché, mais l'Inde est un cas d'école", affirme Sylvain Bilaine, devenu consultant local après avoir fondé Renault India.
Première déconvenue : la veille du lancement de la Logan, un changement de législation surtaxe de 12% les voitures de plus de 4 mètres de long. Dommage pour la Logan, 30 cm trop longue. Manque de chance ? Les dirigeants de Renault y voient alors l'influence du groupe Maruti-Suzuki, qui contrôlait alors 50% du marché automobile indien. "Mais ce n'a pas été la seule raison de l'échec, reconnaît Sylvain Bilaine. Les relation avec les fournisseurs, le choix des composants, l'efficacité du partenariat, rien ne fonctionnait bien".
Les relations avec Paris n'allaient pas mieux: "Il n'y avait pas moyen de faire faire rapidement les ajustements nécessaires, réclamés par le marché, affirme Marc Nassif, qui a dirigé Renault India de 2008 jusqu'à ces jours derniers, où il a passé la main à un Indien.
C'est ainsi que les clients de Logan ont dû supporter des rétroviseurs difficilement rabattables, dans un pays ou les croisements se jouent au centimètre près ; ou l'obligation d'enlever la clé du contact pour aller ouvrir le coffre, que la police et les services de sécurité contrôlent à tout bout de champ. "Surtout, l'intérieur était trop rustique, assure Nassif, Egyptien d'origine : la Logan manquait d'épices ; elle ne correspondait plus aux attentes d'un marché en pleine évolution".
En 2008, alors que survient la crise mondiale, le question se pose : faut-il continuer à végéter avec un partenaire peu impliqué ou arrêter les frais, en se coupant d'un des marchés les plus prometteurs du monde, sans doute le 3ème après la Chine et les Etats-Unis en 2020?
En accord avec Carlos Ghosn, Marc Nassif décide de repartir à zéro. Pas question cependant de laisser tomber ses clients de 309, comme l'avait fait Peugeot quelques années plus tôt. Un accord de rupture est donc signé avec Mahindra à qui Renault vend la licence de fabrication de la Logan (tout en gardant la propriété intellectuelle), à charge pour le groupe indien d'assurer le suivi de la clientèle. Aujourd'hui, la voiture est toujours fabriquée et vendue, au rythme de 10.000 par an, sous le nom de Mahindra Verito dans une usine qui tourne à 20% de sa capacité.
Repartir, bannière au vent, sous ses propres couleurs? Il fallait oser. Rompant avec l'époque Logan, Renault se positionne d'emblée en haut de gamme, en important puis fabriquant sur place le 4X4 Koléos et la berline Fluence. Puis le Duster, crossover conçu sur la base de la Logan. "Mais pour créer un réseau, il faut plusieurs modèles" explique le patron de la gamme Entry de Renault.
Un obstacle surmonté grâce à une idée lumineuse : "Pour gagner du temps et de l'argent, continue Arnaud Leboeuf, on a légèrement modifié deux modèles Nissan, déjà en production locale, que l'on a rebaptisé Renault. Sans l'Alliance on aurait jamais pu lancer cinq véhicules en deux ans et investir dans une usine de mécanique". C'est ainsi que la Nissan Sunny est devenue Renault Scala et la Micra porte le losange sous le nom de Pulse. En échange, le Duster est devenu Nissan Terrano !
Grâce à quoi le réseau Renault a pu passer entre 2011 et 2013 de 11 à 76 concessions et les ventes de 1.000 à 66.000. Problème: elles sont assurées à 80% par le Duster, devenu le premier SUV sur le marché. "Le succès de ce modèle a permis à Renault de vendre en Inde 66.000 voitures en 2013, soit 2,6% du marché et... deux fois plus que notre partenaire Nissan, arrivé pourtant avant nous ; il nous a permis de devenir la première marque européenne en Inde" se délecte Gilles Normand, responsable, chez Renault, de la région Asie-Pacifique, qui vise, ici, 5% à "relativement court terme".
Pour y parvenir Renault, comme Nissan, doivent impérativement entrer dans le marché des voitures vendues sous la barre des 5.000 euros, qui représente encore 45% du marché total indien et est trusté par le groupe nippo-indien Maruti-Suzuki, qui propose un modèle à 3.000 dollars, l'une des voitures les moins chère du marché. Tous les étrangers s'y sont cassé les dents, à l'exception du Coréen Hyundaï.
Le pari est considérable. Il ne pouvait être réalisé qu'à deux, dans le cadre de l'Alliance Renault Nissan, pour qui l'Inde est le laboratoire mondial de leur possible fusion. L'Alliance a donc créé, pour 1 milliard d'euros, une usine à Chennai (ex-Madras) dans le sud de l'Inde et un centre de recherche et de design, qui emploie 4.000 personnes. Marc Nassif l'affirme: "Les voitures à moins de 5.000 euros ne peuvent être conçues qu'en Inde, où les ingénieurs ont la culture de la frugalité inscrite dans leurs gènes: la diminution des coûts dépend en effet à la fois de la conception du véhicule, de sa production et des négociations avec les fournisseurs qui sont responsables de 70% de la valeur".
Une voiture à 4.000 euros vendue aussi au Brésil
"A partir de la plateforme de l'Alliance CFM-A, l'essentiel des baisses de coûts sera donc réalisée avec les sous traitants locaux, fournisseurs de Maruti-Suzuki et de Hyundai" explique Karim Mikkiche, patron du centre de Chennai. On y élabore donc ces voitures en sacrifiant l'épaisseur des tôles, la sécurité, les équipements, etc.
"Il est essentiel de trouver le juste équilibre, entre les équipements indispensables et ceux sur lesquels on peut faire l'impasse" relève Laurens Van Ackers, patron du design de Renault. Pour autant, "quel que soit son niveau de prix, une voiture doit être valorisante et, pourquoi pas, sexy".
Les ingénieurs de l'Alliance sont confrontés à un problème spécifique : il ne peut être question d'amortir un tel investissement sur le seul marché indien, aussi prometteur soit-il. La voiture à moins de 5.000 euros sera donc fabriquée et vendue dans d'autres pays, à commencer par le Brésil. Bien que les patrons de Renault s'en défendent, elle pourra même être vendue en Europe, comme la Logan, au départ réservée pour les pays émergents. Il faut donc prévoir, dès la conception, l'ajout d'équipements (airbags, renforts de caisse, notamment) indispensables. Ce qui renchérit le coût.
La Lodgy bientôt assemblée aussi à Chennai
Gros effort, enfin, sur la production dans l'usine de Chennai, ultra-moderne par certains cotés, mais qui utilise aussi des outillages amortis, transférés depuis Sandouville. L'air n'y est pas conditionné, alors que la température peut monter l'été jusqu'à 40°C! Et les opérateurs, âgés de 23 ans en moyenne, y sont payés 130 euros par mois, deux fois moins qu'au Maroc et quatre fois moins qu'en Roumanie!
En attendant ces voitures miracle à moins de 5.000 euros (la Nissan-Datsun sera de forme traditionnelle, la Renault-Dacia aura un look de mini baroudeur) c'est le disgracieux Lodgy à 7 places, lui aussi conçu sur la base de la Logan et produit pour l'heure au Maroc, qui viendra soutenir la production de l'usine. Le produit correspond très exactement à la demande des familles indiennes. "Nous n'auront pas de prix d'élégance, mais nous sommes confiants sur son succès", affirme Laurens Van Ackers.
En Chine, Renault arrive après tout ses concurrents et doit rattraper le temps perdu. En Inde, le groupe, leader des Européens, est dans les temps. L'enjeu est de surfer sur le succès du Duster - "une divine surprise" - et d'accompagner le développement attendu du marché avec une forte image et une vraie gamme, allant de 4.000 à... 30.000 euros.