Guyancourt, la fabrique des Renault électriques
C'est un Mondial de l'auto de transition qui ouvre samedi ses portes au grand public. Près de Versailles, le Technocentre de la firme au losange est un des lieux où se réinvente l'automobile, autour des véhicules à « zéro émission ».
La Ruche » bourdonne désormais aux 400 volts, la puissance que délivrera prochainement la gamme électrique de Renault. Depuis son inauguration en 1998, le Technocentre du groupe au losange, près de Versailles (Yvelines), qui rassemble de multiples métiers de l'automobile comme le design et l'ingénierie, n'avait travaillé que sur des véhicules à moteurs thermiques, essence ou Diesel, à la rigueur GPL ou éthanol. C'est donc un tabou qui est tombé lorsque les ingénieurs de la maison ont élargi leurs travaux au monde tout neuf de l'électrique, sous la houlette de leur PDG Carlos Ghosn, l'un des patrons les plus convaincus, au niveau planétaire, des possibilités de développement de cette filière « propre ».
Dans cette véritable tour de Babel occupée par des cols blancs de 40 nationalités, qui ne compte pas moins de 470.000 mètres carrés de bâtiments, 1.000 salles de réunion et 8 restaurants, les moyens mis sur l'électrique sont déjà imposants : un peu plus de 1.000 personnes travaillent sur le sujet, en coordination avec les équipes de Nissan, sur l'effectif total de 8.500 personnes rattachées à Guyancourt (hors sous-traitants). « C'est dans la période 2007-2008 que l'on a commencé à se structurer en termes de projets électriques », explique Matthieu Tenenbaum, directeur de programme adjoint sur les véhicules « zéro émission ». « Au début de 2007, il y a eu une décision de l'alliance : Nissan, qui avait déjà dix ans d'expérience et qui était proche de son joint-venture avec NEC, s'est concentré sur la batterie, et nous sur le moteur électrique. Le Kangoo électrique était déjà lancé, mais nous réfléchissions à une gamme. Nous avons alors affiné différents ciblages de produits lors de la même année. » C'est ainsi que sont nés Zoé, la première auto entièrement nouvelle car conçue autour de sa batterie, la version « branchée » de la grande berline Fluence, lancée grâce à un projet ad hoc en Israël, et Twizy, un drôle d'engin quadricycle à moteur, doté de deux places en tandem. Au total, Renault et Nissan n'ont pas hésité à mobiliser 4 milliards d'euros sur plusieurs années pour développer quatre modèles chacun, somme qui sera répartie grosso modo à parité, en fonction des volumes atteints. Si, selon certains dirigeants, l'organisation de ce programme est très similaire à celle de tout autre grand projet de véhicule Renault « classique », elle revêt néanmoins des caractéristiques particulières. Et ce dossier est surveillé comme le lait sur le feu par Patrick Pélata, directeur général délégué, bien conscient que son groupe n'a pas droit à l'erreur.
Un « cerveau central »
Nous sommes au plateau 7A, dans ce Technocentre où l'on ne rentre pas sans montrer patte blanche. Comme son nom ne l'indique pas, ces bureaux serrés en « open space » sont situés au 4 e étage de « la Ruche ». Là travaille la direction des programmes véhicules électriques, un petit commando de 6 personnes, juste à côté de leurs collègues qui développent les modèles « normaux » destinés au marché russe. Ce « cerveau central », dont le cryptage des communications informatiques a été renforcé, parle en permanence avec tout le reste du bâtiment : à commencer par le 1 er étage, fief de l'ingénierie véhicule et du moteur électrique. Car, conformément à l'organisation matricielle de Renault, toutes les grandes fonctions de la maison sont mises dans la boucle à un moment où à un autre, en fonction des jalons techniques des quatre programmes : direction de la recherche, du design, du commerce, chefs de produit et tous les grands métiers de l'ingénierie (châssis, équipements, mécanique, etc.). Plus bas, dans les sous-sols de « la Ruche », des bancs d'essai permettent de valider les premières pièces des véhicules, fabriquées in situ avec des machines-outils, sans avoir à sortir à l'extérieur. Et dans un bâtiment voisin, une mini-usine est chargée de réaliser les prototypes.
Nous voici maintenant dans la « salle Stanley Kubrick », un petit amphithéâtre où le virtuel commence à se rapprocher du physique. Sur un écran géant, un ordinateur décortique le futur Kangoo ZE sous toutes les coutures et sous tous les angles. Forme du « pack batterie », emplacement des rotors et stators, assemblage particulier du plancher… « On vérifie que nos pièces vivent bien ensemble, qu'elles se montent bien et qu'elles répondent aux spécifications clients », détaille Emmanuel Duprat, responsable de l'imagerie numérique. Ce travail de fond permet notamment de donner le « top outillage », qui servira à fabriquer les moules et les outils de presse.
Ces méthodes de travail sont finalement assez proches de celles déroulées sur les familles Mégane ou Clio. Le temps de conception est le même que celui des autres programmes (grosso modo deux ans d'avant-projet, puis deux ans de développement réel), à l'exception de Zoé qui a pris un peu plus de temps en raison de son architecture innovante. Beaucoup plus nouveau en revanche : une équipe spécialisée, distincte de la direction des programmes, chargée d'anticiper « tout l'écosystème du véhicule électrique », résume Thomas Orsini, directeur business développement VE, qui anime cette équipe d'une dizaine de membres. Des fonctions nouvelles chez un constructeur automobile. Son modèle de départ a été la « task force » mise en place par Airbus, avant le lancement de son avion géant A380 : il s'agissait notamment de prendre langue avec les aéroports pour élargir les pistes de décollage et les salles d'embarquement, discuter avec les gouvernements, les riverains, etc.
Dans la version Renault, les sujets ne manquent pas : accords négociés avec les grands électriciens (EDF, RWE, A2A, etc.), « roadshows » dans les grandes villes d'Europe pour montrer les voitures aux élus ou aux grands clients, suivi du développement des points de recharge publics ou privés, formation des vendeurs et réparateurs Renault à ces nouveaux modèles (pas la peine de proposer une vidange gratuite en cas de panne !)… « On sort un peu de nos métiers traditionnels, mais c'est nécessaire, d'autant plus que Renault est précurseur », souligne Thomas Orsini. Dans un contexte franco-français très marqué par le rabotage des niches fiscales, notamment sur le photovoltaïque, il faut aussi s'assurer que l'Etat apportera les fonds promis en 2009 pour aider à la naissance de la filière, via les infrastructures de recharge.
L'avenir de Flins
Le groupe n'ignore pas que les réticences seront très grandes au démarrage, notamment autour de la question de l'autonomie des voitures (160 kilomètres au grand maximum) et de leur prix (15.000 euros pour la Zoé après abattement gouvernemental de 5.000 euros), largement alourdi par les mensualités de la batterie (100 euros). Dans un récent rapport parlementaire globalement très optimiste pour la voiture « décarbonée », le député UMP Gérard Voisin suggère une manière de faire passer la pilule : « Il est important, psychologiquement, que l'acquéreur de ces véhicules mette en relation le coût de la location de la batterie avec son budget carburant et non avec celui d'acquisition du véhicule. » Un peu comme si l'on demandait à son banquier un prêt pour acheter son gazole cinq ans à l'avance…
Ce débat naissant sur les avantages et les inconvénients des autos « zéro émission » est en tout cas suivi de près à 40 kilomètres de Guyancourt, toujours dans les Yvelines : l'usine de Flins, un site historique du groupe qui a notamment vu passer les Dauphine, R16, R12, R5 et sa remplaçante la Clio, sait qu'elle joue en grande partie son avenir sur le succès de la petite Zoé. Là-bas, on la désigne encore de son nom de code X10, en attendant de voir les premiers prototypes l'an prochain. « Les équipes projets travaillent fort », témoigne Olivier Rémoleux, directeur de l'usine. Une vingtaine de personnes représentant chaque métier, qui seront une cinquantaine à la fin de l'année, préparent depuis un an « l'électrification » de Flins, en coordination avec le Technocentre. La mutation du site a déjà commencé. En août dernier, l'arrêt de la ligne de montage de Clio 3 a été mis à profit pour réaliser environ 150 modifications, tests, etc. Car la Zoé, qui arrivera au second semestre 2012, empruntera le même chemin (tôlerie, chaîne d'assemblage) que les Clio 3. Seule une petite « bretelle » de dérivation est prévue pour assembler les batteries et fignoler les branchements, une opération cruciale. « La grande majorité du personnel va faire les deux voitures. Les effectifs seront proches de ceux d'aujourd'hui. Quoi qu'il arrive, il n'y aura pas de pertes d'emplois à Flins », prédit Olivier Rémoleux.
Après avoir choisi le lieu de montage de sa X10, Renault a également prévu, non sans pression du gouvernement, un site de fabrication de batteries 400 volts, qui emploiera à terme environ 400 personnes. Un investissement de 600 millions d'euros, partagés entre l'alliance Renault-Nissan-NEC, le CEA, le FSI et un prêt de l'Etat. Cette petite usine sera édifiée en 2011 à partir d'un bâtiment existant, jusqu'à présent chargé de la préparation logistique des chaînes. Il s'agira de recopier les processus de fabrication de l'usine de batteries Nissan de Zama, au Japon. « Il faut prévoir des salles blanches, des salles sèches, etc. Rien à voir avec ce que l'on fait aujourd'hui à Flins », ajoute le directeur du site jouxtant la Seine. Les volumes prévus sont encore très incertains. L'usine est censée produire à terme entre 100.000 et 350.000 batteries par an, mais dans l'immédiat, ses responsables partent sur une première tranche de 50.000 unités, qui pourra ensuite être élargie « par blocs de capacités ».
En fait, à son démarrage, la voiture électrique made in France ne sera pas si tricolore que cela : les packs batteries de 250 à 270 kilos, partie majeure du prix de revient des Zoé, Kangoo ou Fluence, seront importés du Japon pendant plusieurs années. Quant au moteur électrique, qui sera commun aux trois modèles, il sera acheté chez un systémier allemand. La question de son éventuel rapatriement en France n'est pas encore tranchée.
DENIS FAINSILBER, Les Echos
Citation:Des prévisions très divergentes
Enthousiaste. C'est une question qui divise les constructeurs : que représenteront à long terme les ventes de voitures électriques dans le marché mondial ? Le plus enthousiaste sur le sujet est le tandem Renault-Nissan, qui n'hésite pas à leur prédire une part de 10 % des ventes totales de voitures en 2020. L'alliance franco-japonaise espère capter environ 20 % de ce nouveau marché et va se doter pour cela d'une capacité de production de 500.000 batteries dès 2014, répartie sur trois continents. Des prévisions très optimistes, selon PSA Peugeot Citroën qui voit mal les modèles 100 % électriques dépasser de 3 à 5 % des ventes totales à la fin de la décennie. Quant au numéro trois mondial, Volkswagen, il est encore plus sceptique en avançant une prévision de 2 %, toujours pour 2020.