Citation:Zoé contre Renault : les familles déboutées par la justice
LEMONDE.FR avec AFP | 10.11.10 | 12h49 • Mis à jour le 10.11.10 | 19h35
Renault pourra baptiser sa future voiture électrique Zoé. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a débouté, mercredi 10 novembre, des familles s'opposant au constructeur automobile, désireuses de protéger le prénom de leurs enfants. L'action en justice a été engagée par deux familles, dont le patronyme est Renault, pour éviter que leurs filles, toutes deux baptisées Zoé, ne fassent l'objet de "moqueries constantes" lors de la commercialisation, à la mi-2012, de la petite berline "ZOE". Elles sont soutenues dans leur action par l'Association pour la défense de nos prénoms (ADNP).
Dans son ordonnance, la juge Magali Bouvier a jugé irrecevable l'action de l'ADNP, celle-ci n'ayant pas su arguer d'un "préjudice certain, direct et personnel". Elle a débouté les familles, estimant qu'elles "ne justifi(ai)ent pas l'existence d'un péril imminent". Le critère de l'urgence est en effet indispensable au juge des référés pour pouvoir ordonner une quelconque mesure. Enfin, la magistrate considère que rien ne prouve que l'usage du prénom Zoé pour une voiture soit "de nature à constituer une atteinte à la dignité des deux jeunes demanderesses dont ni la personne ni l'image ne sont en cause".
L'avocat des familles, Me David Koubbi, a déclaré qu'il allait "relever appel de cette décision en début de semaine prochaine et introduire d'autres actions devant d'autres juridictions". L'avocat entend prouver que l'argumentation de la compagnie automobile est infondée. "Dans son argumentation, Renault nous dit que Zoé, ce n'est pas un prénom, mais un mot grec qui signifie 'la vie'". Or, poursuit l'avocat, la compagnie automobile a reconnu implicitement que Zoé était un prénom, en commandant un sondage intitulé "Polémique face à l'utilisation du prénom Zoé par Renault". Dans ce sondage, note par ailleurs l'avocat, 38 % des sondés estiment "déplacé ou tout à fait déplacé" le procédé d'appeler une voiture par un prénom.
LES CRAINTES DES FAMILLES
A l'audience du 21 octobre, devant la juge des référés Magali Bouvier, l'avocat des familles avait alors brocardé le cynisme du constructeur et dénoncé des atteintes à la personnalité, à la vie privée et à la dignité humaine. "Aujourd'hui, avait plaidé Me David Koubbi, nous constatons que les industriels, pour valoriser et humaniser leurs produits, transforment les prénoms en marque. Et selon que nous aurons de la chance ou pas, nous serons un joli pot de fleurs, ou au contraire un martinet, un godemiché ou un balai à toilettes."
La crainte de l'avocat est que les parents "ne fassent changer le nom de leur enfant pour qu'il ne s'appelle pas comme une voiture". Les avocats de Renault, quant à eux, ont rappelé que le constructeur automobile avait déposé la marque ZOE, en majuscules et sans accent, dès 1991, à l'époque où ce prénom n'était pas à la mode. Après avoir été gardé en sommeil, le nom a commencé à être exploité en 2005 pour désigner un prototype. Trois ans plus tard, Renault a finalement décidé de baptiser ainsi sa voiture électrique à "zéro émission".
"RENAULT A TUÉ DES PRÉNOMS"
La fusée Ariane, le parfum Anaïs, les aliments pour chats Félix, les boutiques Chloé, les boulangeries Paul, les plats cuisinés Marie : "tout le monde le fait", s'était défendu Me Pierre Deprez, l'avocat de Renault, car à ce jour, "la loi n'interdit pas" l'utilisation commerciale des prénoms. "C'est la liberté du commerce."
Ce n'est pas la première fois que l'utilisation de prénoms par Renault pour baptiser ses véhicules nourrit la polémique. Dans les années 1990, le lancement de la Clio, et surtout de la Mégane, mirent en émoi des parents indignés de voir une marque de voitures s'approprier le prénom de leur fille. Le prénom, très populaire dans les maternités, tomba alors rapidement en désuétude. Redoutant une association "préjudiciable", le procureur de la République de Nantes (Loire-Atlantique) tenta même d'interdire à la famille Renaud de choisir ce patronyme pour sa fille.
"Chaque fois que Renault a utilisé un prénom pour une de ses voitures, il l'a tué. Il y avait des petites filles prénommés Clio, il n'y en a plus. Il y avait de nombreuses Mégane, il n'y en a plus...", argumentait Me Koubbi en octobre dans un entretien avec Le Post.
"COLLER AUX ATTENTES DU FUTUR CLIENT"
Le choix d'un nom pour un produit est un processus long et complexe. Certains constructeurs possèdent en interne des concepteurs chargés d'inventer de nouvelles appellations, d'autres préfèrent recourir à des agences externes. Dans les deux cas, il s'agit "de se mettre dans la peau du futur client" pour coller au plus près à ses attentes, explique M. Botton, PDG de l'agence française Nomen, spécialisée dans la création de noms de marque.
Une fois un nom retenu, il est passé à la moulinette par des juristes et des linguistes pour s'assurer qu'il est libre de droits, prononçable dans toutes les langues des pays où le véhicule sera vendu, et qu'il ne comporte pas de connotations négatives.
C'est en 1987 que Renault a choisi d'abandonner les simples numéros pour attribuer à ses nouveaux modèles des noms dédiés, jugés plus évocateurs. "Aujourd'hui, la liste des prénoms n'est plus fermée car on peut donner à peu près n'importe quel prénom à un enfant", souligne M. Botton, ce qui brouille un peu plus la frontière entre prénoms et noms de marque.