Citation:"Le budget de recherche et développement de Renault est l'un des plus importants de l’industrie"
Dans un secteur automobile plongé en plein marasme, Renault profite particulièrement de la prime à la casse, assure Patrick Pélata. Le directeur général de la marque au losange revient aussi sur ses relations avec Carlos Ghosn, qui lui a confié la direction de Renault en octobre dernier. Il s'explique sur le manque de succès de certains modèles comme la Laguna et souligne que sur le sujet polémique des bonus des dirigeants la démagogie ne doit pas l’emporter. Par ailleurs, dans une interview au magazine Capital, du mois de mai, Patrick Pélata évoque de nombreux autres sujets. Il estime notamment que le secteur a touché le creux de la crise et détaille les ambitions de Renault dans la voiture électrique.
Capital : Profitez-vous davantage que vos concurrents de la reprise des ventes favorisées par les primes à la casse ?
Patrick Pélata : Oui, car nous avons une offre très riche de petites voitures pas chères. Même la nouvelle Mégane en bénéficie : sa part de marché (sur son segment) en Europe est passée de 3,7% début 2008 à plus de 8% aujourd’hui. Les commandes montent de semaine en semaine et la version coupé nous permet de faire de la conquête.
Capital : La crise financière a raréfié le crédit et augmenter les taux. Comment pouvez-vous en sortir alors que 70% des voitures sont achetées à crédit ?
Patrick Pelata : Il y a en fait deux types de situation. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Espagne, les gens sont mécaniquement contraints par la hausse du coût du crédit : ils avaient contracté beaucoup de prêts immobiliers à taux variable et se retrouvent aujourd’hui très endettés car la valeur de l’immobilier s’écroule et les taux montent. Dans ces pays là, une reprise des ventes de voitures est pour le moins hypothétique. Ensuite, il y a l’Europe continentale, hors Espagne, et des grands marchés comme le Brésil, où les gens se sont beaucoup moins endettés et pas à taux variables. L’achat d’automobiles y est davantage bloqué par le manque de confiance dans l’avenir et la menace du chômage. Mais les primes à la casse y jouent un effet d’aubaine qui les incite à franchir le pas. Je pense donc qu’on n’aura pas les mêmes évolutions économiques dans ces différents pays.
Capital : Le rapatriement à Flins d’une partie de la production de votre usine slovène marque-t-il un début de relocalisation ?
Patrick Pélata : Pas du tout. Il s’agit d’un simple rééquilibrage comme on en a déjà effectué. En ce moment, l’usine slovène qui fabrique les modèles d’entrée de gamme Twingo et l’ancienne Clio est en tirage, cela signifie que la demande est supérieure à nos capacités de production. On a donc transféré momentanément en France, à Flins la fabrication de 8000 Clio 2 pour pouvoir augmenter la production des Twingo dans notre usine de Novo Mesto, en Slovénie.
Capital : Vous avez diminué de 25% vos investissements par rapport à 2007. Au risque d’hypothéquer l’avenir ?
Patrick Pélata : La crise nous a pris à contre pied alors que nous suivions un plan de croissance. Nous étions en train de nous développer à l’international, en association avec Nissan, avec une usine en Inde et une autre au Maroc dont les capacités, du coup, vont être momentanément réduites de moitié. Quant à notre gamme, nous avons annulé des sorties de véhicules niches, dont un sportif plutôt malvenu en période de crise, qui étaient prévus en 2011, et reporté le lancement du nouvel Espace. Nous allons retravailler notre haut de gamme pour tenir compte des changements de consommation de l’automobile induits par la crise. En revanche, nous avons conservé tous nos investissements qui vont dans le sens de la baisse du CO2 afin d’être prêts pour profiter de la sortie de crise. Nous continuons à optimiser nos moteurs thermiques traditionnels et nous développons parallèlement des voitures électriques : deux sortiront en 2011 (sur la base de modèles déjà en vente, une Kangoo et une nouvelle berline présentée en septembre) et une troisième spécifiquement dédiée en 2012. Avec Nissan, nous renforçons plus que jamais notre collaboration avec un partage des tâches pour éviter les doublons et notre budget R&D de l’ordre de 4 milliards d’euros est l’un des plus gros de l’industrie.
Capital : Le développement du marché de la voiture électrique nécessitera-t-il la construction de centrales supplémentaires…
Patrick Pélata : Non. La recharge des batteries se fera surtout durant la nuit, à un moment où il n’y a quasiment pas de demande. Ce qui permettra d’utiliser l’électricité « décarbonée », de provenance nucléaire ou hydraulique. La Toyota Prius, véhicule hybride de référence, émet aujourd’hui 122 grammes de CO2 du puits de pétrole à la roue, c’est-à-dire en incluant la production et le transport de carburant jusqu’à la voiture. Une Mégane diesel, 139 grammes. Un véhicule électrique 57 grammes si l’énergie provient d’une centrale à gaz et 2 grammes seulement si elle vient d’une centrale nucléaire…
Capital : La tendance actuelle des clients qui achètent des voitures basiques sans superflu marque-t- elle la fin du haut de gamme ?
Patrick Pelata : Chez Renault, cette notion correspond à des voitures au dessus de 27 000 euros. A ce prix, il faut donc bien distinguer ce qui est fondamental et de ce qui est superflu entre le confort, l’habitabilité, le sentiment rassurant que vous donne un peu de puissance dans votre moteur mais sans forcément disposer de toute une écurie sous le capot, les équipements de sécurité, la résistance aux crashs tests. La Megane et le Scenic ont la meilleure note jamais obtenue dans un crash test Euro N Cap. On se bat aussi sur des points non pris en compte dans ces tests comme la sécurité des enfants à l’arrière. Et je peux vous dire qu’on est beaucoup mieux protégé dans une Renault que dans la quasi totalité des voitures du marché, y compris des marques qui font leur publicité sur la sécurité passive. En cas de choc frontal, nous avons été les premiers à mettre des ceintures à pré tensionneurs et des sièges qui se relèvent pour empêcher de passer sous la ceinture, y compris à l’arrière.
Capital : Le manque de succès de certains de vos modèles comme la Laguna n’est il pas du à un style Renault beaucoup moins original qu’avant ?
Patrick Pelata : La berline Laguna peut faire voiture un peu trop sérieuse pour certains, mais le coupé Laguna connaît un vrai succès d’estime, c’est une voiture très élégante. Et un acheteur de coupé n’est pas le même qu’un acheteur de berline ou de Scenic : il s’offre un design et une motorisation. Quant à la Twingo au style jugé fade par la presse auto et qui a eu un démarrage plus lent, elle fait aujourd’hui plus en France à elle toute seule que les ventes de la Citroën C1, la Peugeot 107 et la Toyota Aygo réunies. C’est à la fois une citadine et une routière.
Capital : Quel votre avis au sujet du débat sur les bonus et les primes des patrons ?
Patrick Pélata : C’est un débat citoyen qu’on ne doit pas rejeter, mais dans lequel la démagogie ne doit pas l’emporter sur les faits. Chez Renault, la règle est claire : depuis 2006, les bonus et les stock-options sont strictement liés à la performance. Comme nous n’avons pas atteint notre objectif de profitabilité en 2008, personne n’a touché ni bonus ni stock options au titre de l’année 2008 ! En 2007, nous avions atteint nos objectifs et les bonus avaient représenté, selon la performance individuelle de chacun, jusqu’à 20% du salaire fixe pour certains cadres, voire 40% pour les membres du comité éxecutif. L’Etat préconise donc de faire des choses qu’on applique déjà chez Renault. C’est un débat sain, mais je crois qu’il faut remettre les choses en place. Quand je vois que les meilleurs gérants de fonds américains ont touché 1 milliard d’euros de bonus chacun, c’est une somme qui correspond aux bénéfices de Renault l’an dernier ! On compare des souris avec des éléphants.
Capital : Et sur le parachute doré du patron de Valeo ?
Patrick Pélata : Il me paraît excessif de blâmer Thierry Morin qui a bien fait son travail pendant vingt ans, sans que personne lui reproche quoique ce soit, jusqu’ à ce que survienne la crise qui frappe tout le monde.
Capital : Comment se passe le partage des taches depuis que Carlos Ghosn vous a confié la direction de Renault en octobre dernier tout en gardant celle de l’Alliance Renault-Nissan ?
Patrick Pélata : Carlos Ghosn est un homme très pragmatique. Il a fait rapidement évoluer l’organisation pour permettre à l’entreprise de faire face à une crise exceptionnelle. La première fois qu’il m’en a parlé, c’était en septembre 2008, alors que nous venions de vivre 15 jours très intenses, avec des urgences à régler dans tous les sens : l’effondrement des marchés, la crise financière…. «Je ne peux pas repartir au Japon et ne plus m’occuper de Renault au jour le jour dans un tel contexte, m’avait il confié. Ce n’est pas tenable, il faut que quelqu’un puisse prendre des décisions rapides quand je ne suis pas là. ». J’ai été nommé Directeur Général délégué aux opérations dès le mois d’octobre. Cette organisation nous a permis de renforcer le management de l’entreprise, de démultiplier nos forces : Carlos Ghosn se concentre sur le stratégique et moi sur l’opérationnel. J’ai la possibilité de passer beaucoup de temps sur le terrain, écouter les gens dans l’entreprise, ce qui est encore plus nécessaire que d’habitude en période de crise.
Propos recueillis par Philippe Genet et François Genthial