çi joint une très bonne annalyse expliquant le conflit entre ghosn et l'état
Pourquoi il faut en finir avec l'ère Ghosn.
Le patron automobile ne supporte pas la moindre opposition. Ces dernières semaines, il en est arrivé à contester les droits simples de l’État, en tant qu’actionnaire. Manifestement, cette présence contrecarre ses projets pour parachever une alliance qu’il a menée au seul profit de Nissan. Il est plus que temps de conclure que Carlos Ghosn n’est pas irremplaçable chez Renault. Parti pris.
Pendant combien de temps encore les actionnaires de Renault, à commencer par l’État, vont-ils considérer que Carlos Ghosn est irremplaçable à la tête du constructeur automobile ? La question s’est déjà posée à plusieurs reprises, au vu des déboires, voire des scandales, qui ont émaillé sa présidence depuis dix ans. À chaque fois, le président de Renault a réussi à éviter toute remise en cause, mettant en scène, outre son génie qu’il se plaît à présenter comme incommensurable, son rôle incontournable dans l’alliance Nissan-Renault. En un mot, il est intouchable.
La polémique qui a resurgi ces dernières semaines autour de Renault, cependant, ne peut qu’amener à se reposer la question. En quelques jours, le dirigeant a orchestré un procès en sorcellerie contre son principal actionnaire, l’État, parce que ce dernier a osé s’opposer à ses vues. Carlos Ghosn n’a pas eu besoin de chercher beaucoup pour trouver le thème de l’attaque. Il était tout trouvé : par nature, l’État n’a aucune légitimité à intervenir, même en tant qu’actionnaire, selon les principes chers aux néolibéraux.
Surfant sur ce préambule, Carlos Ghosn a tenté d’organiser un coup de force, balayant au passage toutes les règles du capitalisme auquel il aime tant se référer par ailleurs. Ainsi, on a vu une filiale (Nissan) tenter de renverser la hiérarchie du contrôle et contester le pouvoir de sa maison mère (Renault), des administrateurs présentés indépendants, emmenés notamment par Cherie Blair, la femme de l’ancien premier ministre britannique, s’élever contre l’État français, un conseil d’administration remettre en cause une disposition adoptée à une majorité de 60 % par l’assemblée générale des actionnaires en juin dernier.
Les règles de la gouvernance d’entreprise s’appliqueraient donc partout, sauf quand il s’agit de l’État ? C’est ce qu’il faut croire à entendre certains « experts ». Selon eux, rien ne saurait justifier une parole ou encore moins une action de l’État dans le dossier Renault, d’émettre la moindre réserve face à la stratégie du président du constructeur automobile. L'État ne saurait avoir des intérêts. Il est juste là pour permettre aux puissants de se servir, à les entendre.
Officiellement, Carlos Ghosn n’est pour rien dans cette révolte. Ce seraient les dirigeants japonais de Nissan qui seraient outrés par l’attitude du gouvernement français. Ils estimeraient, selon des fuites savamment organisées il y a 15 jours dans la presse japonaise, que l’alliance entre Nissan et Renault n’est plus équilibrée. Sauvé de la faillite en 1999 par le constructeur français qui avait alors pris 43,4 % de son capital, Nissan trouverait injuste de n’avoir que 15 % des droits de vote dans Renault, alors qu’il est devenu le constructeur dominant de l’alliance. Les dirigeants de Nissan seraient d’autant plus irrités par la situation que l’État français a augmenté sa participation dans le constructeur de 15 % à près de 20 %, et qu’il va bénéficier de droits de vote double à partir d’avril prochain.
La présence de l’État français ne les avait pas choqués jusqu’à présent : lorsque Renault est entré au capital de Nissan, l’État était actionnaire à hauteur de 40 % dans le constructeur français. Mais brusquement, sa présence deviendrait insupportable. Pour rééquilibrer la situation, les dirigeants japonais de Nissan proposent donc de fusionner dans l’urgence Nissan et Renault et de dissoudre sans autre forme la présence de l’État.
Faut-il s’en étonner ? Cette proposition a le complet soutien de Carlos Ghosn, et d’une partie du conseil d’administration – où l’État n’a que deux représentants –, même si cela se fait au détriment des intérêts de Renault, de ses salariés, de ses actionnaires. Le projet semble, cependant, momentanément bloqué. Le premier ministre, Manuel Valls, a déclaré dimanche sur RTL qu’il s’opposait à toute fusion. Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, a précisé mardi la ligne du gouvernement sur Europe 1 : « Je suis pour deux choses, la préservation de l'alliance Renault-Nissan dans ses équilibres tels que signés en 2002, deuxièmement l'intégration opérationnelle des deux groupes. »
Pour le président de Renault-Nissan, un tel veto constitue un sacré revers. On peut comprendre : depuis la privatisation de Renault en 1996, l’État est inexistant dans son rôle d’actionnaire. Depuis près de vingt ans, les représentants de l’État se sont contentés d’acquiescer à tout et de payer pour tout (prime à la casse, aides pour la R&D, aide au maintien de l’emploi, etc.). Les gouvernements successifs ont avalisé toutes les évolutions, toutes les transformations, toutes les dérives, y compris sur les rémunérations de ses dirigeants. À aucun moment, l'État n’a émis la moindre réserve sur les choix stratégiques arrêtés par les directions ou même sur les méthodes de management, qui ont conduit à une vague de suicides au technopôle de Renault à Guyancourt (Yvelines).
Cette soudaine opposition ne peut être perçue que comme un camouflet supplémentaire pour Carlos Ghosn. Cultivant l’image du patron mondial, vivant en avion dix mille pieds au-dessus des autres, le patron de Renault-Nissan ne tolère pas la moindre opposition. Sa vision du pouvoir est celle du pouvoir absolu, tenant presque du droit divin. Or depuis avril 2014, Carlos Ghosn ne décolère pas : l’État a osé monter au capital de Renault, sans lui demander la permission. Plus grave encore : malgré le combat farouche qu’a mené le président de Renault contre son principal actionnaire, l’État est parvenu à faire voter la disposition issue de la loi Florange qui lui permet d’obtenir des droits de vote double dans chaque entreprise où il est actionnaire.
Rémunération strastophérique
Tout ce dispositif contrecarre manifestement les projets de Carlos Ghosn. Au vu de sa réaction, l’État a certainement quelque raison de se méfier des manœuvres du président de Renault. Celui-ci n’a-t-il pas déjà essayé en mars 2010 de privatiser en douce Renault en organisant, par un jeu complexe de vente d’actions, la fusion des deux constructeurs et le transfert complet du groupe aux Pays-Bas ? Et il y serait parvenu si l’Élysée ne s’était réveillé en catastrophe pour contrer en partie le projet. Carlos Ghosn semble ne pas avoir changé de projet. Mais la précipitation avec laquelle il a mené l’attaque ces dernières semaines conduit à s’interroger sur la situation réelle de Nissan. N’y a-t-il pas quelques vices cachés que son président connaît et qui placeraient le constructeur japonais dans une position plus défavorable, si la fusion était repoussée de quelque temps ?
Ce ne serait pas la première fois que Carlos Ghosn travaille à avantager Nissan par rapport à Renault. En fait, depuis qu’il en a pris la direction en 1999, il n’a fait que cela : tous ses arbitrages ont été systématiquement en faveur du constructeur japonais, au détriment du développement du savoir-faire du constructeur français, pour mieux asseoir son pouvoir. Si l’on doit parler de rééquilibrage au sein de l’alliance entre Renault et Nissan, c’est au profit du constructeur automobile français qu’il devrait se faire. Sur les quatre grands postes de direction pour la conduite de cette alliance, un seul a été attribué à un Français, celui des ressources humaines. Les deux grandes directions opérationnelles, celle de la production industrielle et de la recherche et développement, sont tenues par deux Japonais.
Pour bien comprendre le rapport de force et où sont les intérêts de Carlos Ghosn, un seul exemple suffit : sa rémunération. Pendant longtemps, Carlos Ghosn a pratiqué une totale opacité sur le sujet. Il a fallu l’intervention des actionnaires pour l’obliger à rendre publique la rémunération versée par Nissan. Le simple fait d’avoir une double rémunération est déjà choquant en soi. « Les patrons de Ford, de BMW ou de GM touchent-ils un salaire pour chaque marque dont ils ont la responsabilité ? La réponse est non », relève le journaliste Benjamin Cuq dans le Livre noir sur Renault. Mais le montant de ses rémunérations est aussi stupéfiant. En 2011, date de la première publication de son salaire, Carlos Ghosn avouait toucher un salaire de 982 millions de yens pour l’exercice 2010, soit 8,4 millions d’euros. Carlos Ghosn s’affichait ainsi comme le dirigeant le mieux payé du Japon, mieux que celui de Sony, huit fois plus que celui du fondateur de Toyota, Akio Toyoda, premier constructeur automobile mondial. À côté, le salaire de PDG de Renault faisait pâle figure, à peine d'1,2 million d’euros. De quel côté penche la balance ?
Depuis, Renault a veillé à rééquilibrer la situation. Pour gratifier ce manager que le monde entier nous envie, le conseil d’administration a décidé de tripler son salaire. En 2014, sa rémunération s’est élevée à 7,2 millions d’euros grâce à l’attribution de 4 millions d’euros d’actions gratuites, tout en continuant de toucher 7,6 millions d’euros de Nissan. Cela lui permet de figurer parmi les patrons les mieux pays du monde. À titre de comparaison, son salaire équivaut à plus de 666 années de salaire d’un ouvrier payé 1 800 euros par mois sur treize mois.
Le choix délibéré d’avantager outrageusement Nissan au détriment de Renault se retrouve dans toutes les décisions stratégiques. Ainsi, pendant des années, la direction a laissé péricliter la gamme de véhicules de Renault, remplaçant les anciens modèles par des nouveaux banalisés, sans âme, à l’image de la Twingo. La sortie de ce premier modèle de l’ère Ghosn a été retardée d’un an pour se conformer aux désirs de son président. Ce fut un flop terrible.
Alors que Nissan et Renault avaient développé ensemble un nouveau modèle de SUV, très recherché dans les années 2000, le constructeur japonais a été le seul autorisé à l’exploiter pendant des années. Le Qashqai a fait la fortune de Nissan pendant des années en Europe. Croulant sous les commandes, la direction a préféré agrandir son usine en Angleterre plutôt que de transférer une partie de sa production dans l’usine Renault de Douai, qui criait famine après la fin de l’engouement pour les Scénic. Renault n’a lancé ses propres modèles que six ans plus tard.
De même, Renault s’est vu interdire pendant des années d’aller en Chine, pour laisser le champ libre à Nissan. Et quand il s’est agi de s’allier au constructeur russe Autovaz – le fabricant des Lada –, c’est Renault qui a payé l’essentiel de la facture (2 milliards d’euros) et qui a apporté, selon nos informations, l’essentiel des garanties, notamment sur les lignes de crédit et de refinancement. Il y a parfois du bon à avoir la signature de l’État derrière soi. Mais c’est Nissan qui devait être le premier bénéficiaire de cette nouvelle alliance, en important ses produits et ses moteurs. Depuis l’instauration des sanctions européennes contre la Russie, après la guerre d’Ukraine, Carlos Ghosn ne parle guère de son grand développement russe. Selon des connaisseurs du dossier, cela pourrait tourner à la bérézina pour le constructeur français.
Ni responsable ni coupable
Mais Carlo Ghosn n’est pas responsable. Comme il n’est pas comptable de l’effacement de la marque sur le marché automobile mondial, de la vampirisation de ses savoir-faire et de sa recherche et développement dans le cadre de l’alliance avec Nissan. Mais aussi dans celui de ses accords de partenariat avec Mercedes, où Renault est ravalé au rang de sous-traitant : il lui fournit des utilitaires et des moteurs diesels pour ses petites voitures, comme l’a rappelé Mercedes au moment du scandale Volkswagen.
Comme il n’est pas responsable du siphonnage des usines tricolores, le groupe préférant la Slovénie, le Maroc ou l'Espagne pour fabriquer ses modèles. Sous son règne, depuis 2005, la production de Renault en France s'est effondrée de 58 %. Soit une perte de 740 000 véhicules par an, six fois la production actuelle du site de Douai ! Cette dévitalisation constante du constructeur automobile ne se lit pas dans les comptes : le groupe affiche de bons résultats, essentiellement grâce aux modèles à bas coûts comme la Logan, vendus en Europe sous la marque Dacia. Une gamme à laquelle ce patron visionnaire ne croyait pas lors du rachat par Renault.
Carlos Ghosn n’est pas plus coupable dans l’affaire de l’espionnage industriel du groupe. À l’entendre, il est même l’une des victimes. Pourtant ! En janvier 2011, le PDG de Renault vient en personne sur TF1 pour dénoncer l’immense espionnage industriel dont son groupe est victime.« Faites-nous un peu confiance ! Nous ne sommes pas des amateurs. Nous n’avons pas monté cette affaire de toutes pièces », expliqua-t-il alors à des journalistes un peu interloqués. Deux mois plus tard, alors que le dossier est en train de totalement se dégonfler, le même Carlos Ghosn déclarera sur la même chaîne : « Nous avons été trompés. » Sa responsabilité dans cette affaire ? Aucune.
Entretemps, trois cadres supérieurs de Renault, qui travaillaient sur la batterie et le moteur électrique, ont été vilipendés en place publique et licenciés sans autre forme de procès, avant que le groupe ne leur offre de substantiels dédommagements. Tout le programme de recherche et développement sur la voiture électrique, auquel l’État a apporté des centaines de millions d’euros d’aide, s’est trouvé partiellement décapité.
Curieusement, comme l’a raconté Le Parisien plus tard, un autre nom aurait surgi dans le cadre de l’enquête des autorités de renseignement saisies du dossier d’espionnage industriel chez Renault. Celles-ci auraient découvert le nom de Toshiyuki Shiga, le directeur général de Nissan. « Il aurait touché d’importants pots-de-vin dans le cadre d’un complexe montage financier. Les montants évoqués atteignaient 12 millions de dollars (8,4 millions d’euros) », écrit alors le quotidien. Mais de ce nom il n’a jamais été question. Des responsables de Nissan ne peuvent être injustement calomniés. L’ensemble de l’affaire a été prestement enterré.
En dépit des réactions d’actionnaires de Renault demandant son départ, Carlos Ghosn a fait comme s’il ne s’était rien passé. Sa responsabilité dans cette affaire ? Aucune, à l’entendre. De toute façon, s’en séparer reviendrait à affaiblir durablement la relation avec les Japonais, ont expliqué ses défenseurs. Bref, Carlos Ghosn est intouchable, compte tenu de son rôle clé dans l’alliance.
Mais comme il fallait bien un coupable pour éteindre le scandale, Patrice Pelata fut désigné en victime expiatoire. Du jour au lendemain, le numéro deux de Renault a été contraint de démissionner, payant une faute qu’il n’avait pas commise, à la place de Carlos Ghosn. De la même manière, Carlos Tavares, nouveau numéro deux de Renault, organisera son départ avant qu’il ne soit trop tard pour prendre la présidence de PSA.
Carlos Ghosn semble décidément avoir des difficultés à supporter des numéros deux. De toute façon, il n’en a pas besoin : il a obtenu de faire changer les statuts afin de pouvoir prolonger son mandat jusqu’en 2022. Il aura alors 68 ans. Étonnant de vouloir obtenir ainsi de telles prolongations, alors qu’il ne cesse de présenter Renault et son actionnaire étatique comme des boulets qui lui pèsent.
Ce seul fait de neutraliser tous ses numéros deux, ou tous les responsables qui pourraient lui porter ombrage, d’empêcher tout talent nouveau d’émerger devrait être un signal d’alerte pour les actionnaires et le conseil. Aucune entreprise, aucune organisation industrielle ne peut reposer sur un seul homme, aussi génial soit-il. Il est de la responsabilité des actionnaires, de l’État, de veiller à la continuation de l’entreprise, de son intérêt social, ne serait-ce que pour défendre leurs intérêts patrimoniaux. Même en envisageant pour plus tard une fusion avec Nissan, il est plus que temps de préparer la succession de Carlos Ghosn à la tête de Renault, pour sauvegarder au moins les intérêts de ses salariés, de l’entreprise, de l’industrie automobile en France. Contrairement à ce qu’il pense, il est plus que temps de lui signifier qu’il n’est pas irremplaçable.
Martine Orange
Martine Orange est une écrivaine et journaliste d'investigation française. Spécialisée dans les affaires économiques, elle a été journaliste à Valeurs actuelles de 1984 à 1989, à L'Usine nouvelle de 1989 à 1995, au Monde de 1995 à 2005...
http://www.mediapart.fr/journal/economie/111115/renault-p..inir-avec-lere-ghosn
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