Renault Avantime, un glorieux ratage
Le Garage du cœur, rubrique auto rétro de « M », fait – une fois n’est pas coutume – place à un jeunot : l’improbable coupé monospace lancé en 2001, dont l’échec fut cuisant mais sublime.
M le magazine du Monde | 07.04.2017 à 14h22 | Par Jean-Michel Normand
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Seules 8 552 unités de l’Avantime seront fabriquées dans l’usine Matra de Romorantin.
Elle en a entendu, des réflexions peu amènes – et parfois désobligeantes – sur son passage, l’Avantime. On l’a traitée de soucoupe volante en raison de son allure science-fictionesque, de fer à repasser à cause de sa silhouette haute sur roues, pointue à l’avant et hémisphérique à l’arrière et on a aussi détourné son patronyme pour l’appeler « Aftertime » compte tenu des presque deux ans de retard avec lesquels a démarré sa production, en septembre 2001.
N’en déplaise à ceux qui l’ont raillée et qui, aujourd’hui encore, sursautent en apercevant son profil ô combien atypique, l’Avantime aura bien plus marqué son époque que nombre d’autres modèles ayant connu une carrière plus avantageuse. Cette Renault au destin tragique, disparue après moins de deux années de carrière, fut en effet un ratage. Mais un ratage plein d’audace et de panache.
AVEC PRESQUE DIX ANS D’AVANCE, CE MODÈLE ENTREPREND DE MARIER LES GENRES EN PROPOSANT UN CONCEPT DE COUPÉ MONOSPACE, DEUX GENRES AUTOMOBILES ANTINOMIQUES.
A la fin des années 1990, Matra, qui produit depuis 1984 l’Espace, propose à Renault d’en prolonger le succès avec un dérivé plus sportif. Pour la firme de Jean-Luc Lagardère, la proposition est vitale car le losange a décidé que la prochaine génération de l’Espace – le quatrième du nom, sans doute le moins réussi de la saga, lancé en 2002 – sera fabriquée à Sandouville. Matra a donc besoin de ce nouveau véhicule pour faire vivre son usine de Romorantin (Loir-et-Cher) d’autant que, comme le raconte André Dewael dans La Renault Avantime de mon père (éd. ETAI), les négociations entamées pour produire un modèle Rover ont finalement échoué. Louis Schweitzer et le numéro deux de Renault, Carlos Ghosn, se laissent convaincre.
Comme le souhaitait l’équipe Matra, emmenée par Philippe Guédon, le « père » de l’Espace, le projet prend une direction résolument originale, voire franchement anticonformiste. Une approche convenant aussi à la maison de Billancourt qui, dans les années 1998-2000, va de succès en succès avec des modèles innovants (Twingo, Scénic) et dont le point commun est d’adopter une silhouette de monospace, dite « monovolume ».
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La portière représente un morceau de bravoure : 1,40 m et 55 kg.
RENAULT
L’Avantime, comme son nom le suggère, entend s’inscrire en avance sur son temps. Aussi, ce modèle accumule-t-il les audaces. Avec presque dix ans d’avance, il entreprend de marier les genres (on ne parle pas encore de « crossover ») en proposant un concept de coupé monospace, deux genres automobiles antinomiques. Son design, pris en main par Thierry Métroz, alors chez Renault (il dessine aujourd’hui les DS), évoque un Espace étiré en longueur. Le montant central (autrement appelé le « pied milieu », soit la partie métallique située entre les portes avant et arrière) a disparu, les vitres sont dépourvues d’encadrement, la partie supérieure de la carrosserie est en aluminium et de couleur grise. Enfin, un énorme toit en verre, qui s’ouvre largement, vient coiffer l’ensemble. L’intérieur, très lumineux et inspiré du mobilier contemporain, est dépouillé, blanc, et les ceintures de sécurité sont solidaires des sièges. On peut tenir à trois à l’arrière (mais en se serrant) et le coffre est gigantesque.
Stupeur et tremblements
Conçue sur la base de l’Espace, l’Avantime est longue (4,64 m), lourde (1 750 kg), chère (36 200 euros soit 237 456 Francs) mais elle a quelque chose de fascinant… ou de rédhibitoire, c’est selon. A cette époque, Renault qui a fondé son succès sur sa capacité à innover, donc à surprendre, ne craint pas de déplaire. La clientèle potentielle de ce vaste coupé haut sur roues – rien à voir avec les coupés classiques, bas de plafond et peu logeables – ce sont d’abord les anciens propriétaires d’Espace en quête d’une voiture plus sportive et résolument haut de gamme. Le constructeur veut aussi capter des amateurs de voitures « premium » lassés du conservatisme des gammes Mercedes, BMW ou Audi qui, alors, ne proposent guère que des berlines ou des breaks classiques et des coupés, bien dessinés mais assez vieux jeu.
Inclassable, cette automobile complexe développée en assez peu de temps ne ressemble à rien de connu, multiplie les morceaux de bravoure techniques mais souffre de plusieurs handicaps. Sa portière, longue d’un mètre quarante, pèse 55 kilos et nécessite, pour s’ouvrir, une double articulation particulièrement complexe. Lorsqu’on la refermait un peu fort, toutes les vitres des premiers modèles se mettaient à trembler. Les défauts de jonction des vitres émettent des sifflements, le toit en verre grince et les matériaux intérieurs ne transpirent pas la qualité.
L’une des singularités de l’Avantime : son vaste toit vitré.
Retarder le lancement de la commercialisation ne permettra pas de trouver toutes les solutions susceptibles d’améliorer les choses. A cela s’ajoute l’erreur tactique de lancer l’Avantime uniquement avec (l’antique) V6 essence développé avec Peugeot. Il faudra attendre près d’un an avant de proposer une version diesel alors que ce carburant est alors très demandé. Et puis, outre qu’il est sous-motorisé, ce coupé aux lignes spectaculaires ne se conduit pas comme une voiture sportive. Son centre de gravité élevé, son châssis déjà ancien et proche d’un monospace familial ainsi que son embonpoint le destinent à une conduite assez tranquille, à rebours des modèles concurrents qu’il prétend ringardiser.
AU BOUT D’UN AN, PAS PLUS 3 900 IMMATRICULATIONS ONT ÉTÉ COMPTABILISÉES. RENAULT EN ATTENDAIT 15 000.
Pourtant, chez Renault comme chez Matra, on ne doute pas que l’originalité va finir par payer. Le démarrage commercial plus que laborieux de l’Avantime n’inquiète guère ses concepteurs – qui, pour se convaincre, se répètent qu’en 1984, seuls neuf exemplaires de l’Espace avaient trouvé preneur à l’issue du premier mois – mais la vérité des chiffres va rapidement s’imposer. Au bout d’un an, pas plus 3 900 immatriculations ont été comptabilisées. Renault en attendait 15 000, ce qui ne paraissait pourtant pas hors de portée. L’échec est patent et il va accélérer le naufrage de Matra, également rattrapé par ses projets farfelus (une voiture « pour jeunes » sans permis, entre autres) et abandonné en rase campagne par son partenaire.
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La carrière de l’Avantime sera brutalement interrompue en mai 2003 et l’usine de Romorantin (1 450 salariés) fermera ses portes après avoir fabriqué 8 552 exemplaires de cet éphémère véhicule d’avant-garde. Contemporaine de l’Avantime, la Renault Vel Satis répétera les mêmes erreurs (design bien trop décalé, fiabilité insuffisante, surestimation de l’esprit de curiosité des acheteurs de haut de gamme) et se traduira elle aussi par un fiasco. Celui de l’Avantime, cependant, gardera quelque chose de plus bravache. Aujourd’hui encore, plus de quinze ans après sa sortie, cette voiture apparaît toujours formidablement bizarre. Sans attendre l’ancienneté officiellement requise (30 ans), elle fait déjà figure de voiture de collection.
André Dewael dans « La Renault Avantime de mon père », éd. ETAI, 120 p., 29,90 euros.
En savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/m-voiture/article/2017/04/07/renaul..#H0rE4De62vyYeQxV.99