Citation:Renault : décryptage d’un verdict
Les gênes du jugement modéré rendu par la FIA lundi sont à chercher dans les quinze dernières années de relations entre Flavio Briatore et Max Mosley, Renault et la place de la Concorde. Entre rivalité d'hommes et esprit légaliste du Losange, le Conseil mondial a fait la part des choses.
Faute avouée à moitié pardonnée : l'adage n'est qu'une promesse à l'approche d'un jugement. Pour en avoir fait son meilleur conseil, Renault en a recueilli une clémence inattendue, incompréhensible voire zélée de la part du Conseil mondial du Sport automobile de la Fédération internationale de l'automobile (FIA), lundi à Paris. La perpétuité avec sursis - ce qui n'a pas grand sens - pendant deux années probatoires pour le constructeur, les mains sales pour l'irrécupérable Flavio Briatore, et un hors-jeu de cinq ans équivalent à la retraite pour l'expert en accident Pat Symonds.
Il faut bien s'entendre sur la signification d'une telle sentence à l'abord déroutant : elle trace une fois de plus la géopolitique des relations complexes entre un constructeur et une fédération, en arrière plan des joutes entre dirigeants. Max Mosley avait eu la tête de Ron Dennis dans le scandale d'espionnage de McLaren à l'encontre de Ferrari, l'an passé. Le président de la FIA vient de faire tomber son autre grand rival, à un mois et un jour de son départ de la place de la Concorde. Il était temps, après quinze ans d'acharnement. En 1994, la FIA avait confondu Benetton, patronné par qui vous savez, en découvrant dans le logiciel du bolide de Michael Schumacher la fameuse "Option 13", qui commandait un "launch control" ou système de montée automatique des vitesses lors des départs. Les commissaires voulaient surtout débusquer l'antipatinage clandestin de la B194, mais ils n'avaient pu en établir l'existence autrement qu'à l'oreille. Au coeur d'une saison querelleuse, Briatore avait défié Mosley en ordonnant la grève à Montmelo, s'attirant la foudre britannique via divers déclassements et l'exclusion temporaire du pilote allemand. Cent mille dollars d'amende pour l'Option 13 n'avaient été qu'une étape de plus vers le règlement de compte d'Adélaïde. Pour son activisme à monter la FOTA contre la FIA au printemps, Briatore n'avait pas manqué d'aggraver son cas. Lundi, Mosley a refermé le dossier en bon procédurier qu'il est.
L'arrogance de McLaren, l'humilité de Renault
Ce qu'il faut bien comprendre, finalement, c'est que le Conseil mondial a disjoint le cas Briatore de celui de Renault, à la suggestion de Mosley. Et Renault a parfaitement compris que sa marge de manoeuvre était là, en isolant son directeur général de la F1, limogé dans la foulée de Pat Symonds, et en faisant acte de contrition devant les juges puis un parterre de journalistes et cameramen. En envoyant aussi témoigner tout ce qu'elle avait d'innocent notoire dans cette histoire, afin de bien souligner les limites du complot. En opposition très distincte au cas McLaren, donc. Ainsi Fernando Alonso fut-il dépêché pour dire qu'il ne savait rien, et publiquement remercié par le sommet du Losange. Renault a aussi plaidé sa cause en mandatant un homme de l'ombre, Bernard Rey, président sans histoire. Effacé, sans prise dans le système tentaculaire de l'omnipotent Flavio Briatore, il peut aujourd'hui se targuer d'avoir offert un avenir à l'équipe.
Mais alors, pourquoi donc le Conseil mondial n'a-t-il infligé qu'une suspension symbolique à Renault ? Les juges ont-ils été si désarmés par tant de sincérité ? Il faut le croire car l'éventail des sanctions était large. L'exclusion par exemple du team du résultat Grand Prix de Singapour 2008, en lui retirant la victoire de Fernando Alonso, bien aidé par Nelson Piquet. La FIA n'hésite pourtant jamais à prononcer une peine à dessein vexatoire. Le vainqueur espagnol hors de cause, la FIA aurait pu facilement retirer les points Constructeurs de Renault à Singapour. Elle l'avait fait pour moins que ça en 1995, à Sao Paulo, à propos de Benetton et Williams, coupables d'avoir utilisé un carburant simplement non homologué. Et quelle cohérence avec le cas Citroën au dernier Rallye d'Australie, sanctionné pour une photo absente d'un dossier technique ? Il faut en déduire que la FIA se refuse à bricoler les résultats d'un championnat révolu.
La FIA aurait pu taper un cran plus haut en privant Renault de ses points Constructeurs sur la saison comme elle l'avait fait pour McLaren en 2008 pour avoir tout su de la F2007. On pensait comparable la gravité des délits. Les méfaits d'Enstone étaient même sans commune mesure avec ceux de Woking, selon Mosley. Renault s'en serait bien tiré avec un manque à gagner de seulement 20 points (jusque là) en 2009 contre les 80 "encaissés" en 2008. Car la FIA redistribue les gains de la FOM en fonction du nombre de points inscrits au Mondial Constructeurs. Renault aurait pu paraître aussi atteint que McLaren (218 points en 2007) mais la FIA est passée à côté de ce symbole en ignorant la jurisprudence. En fait, la FIA s'est refusée à toucher au porte-monnaie, ce que n'aurait pas supporté Carlos Ghosn, P-DG de Renault. Quand bien même le team aurait écopé de 20 ou 30 millions d'euros d'amende, le montant aurait été indécent dans un contexte économique et social dépressif. C'est sans doute en substance le message qu'est venu délivrer spécialement à Paris le grand argentier de la Formula One management (FOM), Bernie Ecclestone. D'ailleurs, Renault n'a jamais eu d'attitude dispendieuse en F1 et a même été l'un des premiers à encourager les réductions de coûts. Cela lui fut crédité, là même où McLaren avait écopé de 100 millions de dollars pour espionnage industriel, incluant un méga bonus pour son arrogance et sa vantardise."L'amende ? Ce n'est pas un problème pour nous" , se souvient-on du narquois Ron Dennis.
"Mettre cette affaire derrière nous"
Justement, Renault a été récompensé de sa position très souvent légaliste à l'endroit de la FIA. Dans la croisade de la réduction des coûts mais pas seulement. Depuis le rachat de Benetton, en 2000, Renault n'a fait qu'avaler des couleuvres, celles-là même qui ont rogné son avantage technologique dans nombre de domaines pour la conduire à occuper aujourd'hui une piètre 8e place au Mondial Constructeurs. Ce fut l'interdiction du launch control, de l'antipatinage, de toutes les aides électroniques via l'obligation de rouler sous gestion McLaren (optimisée pour le V8 Mercedes-Benz), l'interdiction encore des moteurs de qualification, le gel des moteurs de course, l'exclusion organisée du partenaire historique Michelin... La liste est longue et non exhaustive.
Sauvé par son comportement malgré les dérives de Briatore, Renault doit maintenant décider de son avenir. Quitter le sport ou rester ? La seconde solution a la faveur de Bernard Rey, qui a déclaré lundi : "Nous espérons sincèrement être bientôt en mesure de mettre cette affaire derrière nous et nous concentrer sur le futur de manière constructive". En effet, un départ de la discipline resterait un dommage pour l'image, un temps de culpabilité pendant lequel le grand public resterait sur cette dévastatrice impression de scandale. Un long moment à coup sûr. Décider d'un autre programme sportif nécessiterait au moins six mois, la mise en place et la construction d'un nouveau bolide un an au bas mot. Pour un retour à la compétition fin 2011 au mieux, et les premiers succès en 2013 ou 14. Cinq ans se sont écoulés entre l'annonce du retrait de Peugeot du WRC (fin 2004) et la victoire au Mans. Ce délai doit faire réfléchir.
Renault doit donc penser à son nouveau management. Avec à l'esprit les valeurs qui ont porté son engagement dans le sport : l'éthique et la compétence. Et l'expérience si possible. S'il a retenu les leçons de ses erreurs à la tête de son écurie, entre 1997 et 2001, Alain Prost pourrait être le nouveau fédérateur d'une équipe pilotée depuis la France