Voici en exclusivité un article que j'ai écrit pour mon tout nouveau site consacré aux projets, prototypes et concepts de la marque au losange. J'espère qu'il vous plaira...
Mené entre 1971 et 1973, le "Projet R40", comme on l'appelait alors, fut initié en 1971 avec pour objectif de concevoir au final un véhicule 100% Renault, tant coté design que mécanique, pouvant remplacer la IKA-Renault Torino sur le marché argentin, tout en conservant des caractéristiques similaires à celle-ci. La Torino était alors clairement une réussite commerciale, et l'on ne pouvait balayer d'un trait un tel succès. Pour les Argentins, c'était une formidable voiture, mi-européenne et mi-américain, mais répondant toutefois davantage dans les grandes lignes à la philosophie des véhicules nord-américains.
Néanmoins, pour affirmer sa main-mise grandissante sur l'empire Kaiser, il fallait à Renault une voiture qui réponde à un nouveau concept technologique et stylistique. L'idée de l'entreprise fut donc de créer une auto "européenne", (quoique bien française), très différente de la Torino et dont le prototype rappellerait davantage d'autres modèles de la firme française.
On étudia d'abord quelles pièces de la Torino seraient utiles pour équiper le prototype, et il fut décidé de conserver le moteur Tornado 6 cylindres en ligne de 3800 cc, la boite ZF 4 vitesses, ainsi que le différentiel et la suspension. Une structure fut réalisée en France, avec l'aide d'une équipe de Renault Argentine. La régie en tira une maquette grandeur nature qu'elle expédia à Córdoba pour servir de gabarit.
Autour de cette coquille vide, l'équipe argentine réalisa la carrosserie ainsi que l'intégration de l'intérieur du véhicule. Presque tous les composants firent l'objet d'un travail artisanal, et parfois on dut même façonner à la main des pièces telles que les vitre latérales, les mécanismes d'ouverture et de fermeture de portes, etc. L'intérieur du prototype fut équipé des mêmes éléments que les Torino de séries de l'époque. Le prototype R40 présentait donc quand même un grand nombre de caractéristiques des Torino de série de l'époque.
Extérieurement, pourtant, la voiture était entièrement différente de celle-ci, avec des lignes qui préfiguraient un peu la future R18. C'était une grande voiture, tant dans ses dimensions que son poids (jusqu'à 1550 kg en charge), qui respectait pourtant assez l'esprit du concept Torino. La grande innovation technique devait être l'introduction d'un système d'injection Bosch. Il était aussi prévu que la version définitive comporte de nombreux élements plastiques, mais pour le prototype, la plupart de pièces furent taillées dans du métal.
Pour le modèle de production envisagé, il fallait beaucoup de travail de la part des modélistes qui, sur la base de la maquette au 1:1 avaient dû extraire les informations et en tirer des plans pour chaque pièce. On raconte que, pour faire le pare-brise, il avait fallu sortir une copie en résine epoxy, puis réaliser une copie en miroir de celle-ci à base d'aluminium fondu pour maintenir la stabilité de la copie. De là sortait l'"information" nécessaire à l'entreprise sous-traitante pour faire son travail. Pourtant, selon d'autres sources autorisées, le pare-brise n'était rien d'autre... qu'une lunette arrière de R12 !
Le projet fut annulé peu après la mort en 1973 d'Yvon Lavaud, principal instigateur du projet R40 et président de IKA-Renault, dans un accident d'avion en France, précisément quand allait démarrer le programme de développement du système d'injection. Quand le projet R40 arriva à son terme, on entama la dernière phase, celle des essais statiques et des essais de longue distance sur route. Ceux-ci furent réalisés selon le cahier des charges habituel de l'époque, avec certaines parties du véhicule camouflées pour que les gens qui le croiseraient sur la route ne puissent pas l'identifier.
Une fois les essais terminés et la voiture approuvée au plan technique, on organisa un séminaire pour les commerciaux et les directeurs de l'entreprise dans une grand villa située dans la zone limitrophe entre Cordoue, San Luis et les Pampas. La réunion dura une semaine, faite de travaux, d'évaluations et discussions. La décision fut finalement prise de remiser le projet aux oubliettes. Non seulement le prototype ne satisfaisait pas les ingénieurs, mais au final, les coûts nécessaires à mener le projet à son terme auraient été trop élevés. Même si la mort d'Yvon Lavaud priva le projet de son principal défenseur, la raison principale pour laquelle la Renault 40 ne vit jamais le jour reste que sa production se serait avérée trop coûteuse et trop compliquée, particulièrement en période de crise pétrolière.
Celle qui aurait dû être la remplaçante de la Torino est désormais exposée au Museo del Automóvil de Córdoba, en Argentine, dans l'agglomération de Buenos Aires. Il est heureux que ce prototype, qui avait démontré le potentiel de l'industrie nationale argentine, n'ait pas été démantelé ou détruit à l'époque. A noter que la désignation R40 fut plus tard brièvement envisagée pour ce qui devint finalement la R25.
Sources : Ó.J. Restrepo Mantilla, Danyel E. et A.P. Parrotta,
et Franco Cipolla, historien d'IKA, in Road Test, 1996.
© Renault Concepts 2007