Je propose afin de suivre l'évolution des difficultées des deux géant US, et pour prendre la mesure du drame qui se noue dans l'industrie automobile outre atlantique, de regrouper ici les info les concernants.
Les "Ford" chassés du rêve américain
LE MONDE | 13.10.06 | 16h44
WAYNE (Michigan) ENVOYÉ SPÉCIAL
La ville de Wayne est une banlieue coquette et tranquille à l'ouest de Detroit, avec ses rues larges et claires, ses bannières étoilées omniprésentes, sa faible criminalité et même, chose rare aux Etats-Unis, un vrai centre ville avec des commerces. Cette prospérité, elle le doit à l'impressionnante usine Ford, qui s'étend sur plus de 3 kilomètres le long de la Michigan Avenue avec ses chaînes de montage de 4 × 4 et autres pick-up qui se vendaient à tour de bras dans les années 1990. L'usine de Wayne avait alors du mal à répondre à la demande et était l'une des plus rentables au monde. Une époque révolue.
Il suffit de voir aujourd'hui les milliers de Ford Expedition et autres Lincoln Navigator de plus de 2 tonnes flambant neufs qui s'entassent sur les parkings. Même avec des rabais, les Américains n'en veulent plus. Ils consomment trop.
Face à l'usine, de l'autre côté des huit voies de la Michigan Avenue, se trouve le petit bâtiment en brique du syndicat des travailleurs de l'automobile, l'United AutoWorkers (UAW), et de sa section locale (Local 900). Les visages sont fermés, les médias ne sont pas les bienvenus. Le vice-président de la Local 900, Brian Quantz, ne veut plus s'adresser à la presse. On lui reproche d'avoir cassé le moral des salariés de Ford pour avoir déclaré en septembre : "Les ouvriers de l'usine de Wayne ont peur." Les Français sont même considérés avec une certaine suspicion depuis que Renault fait figure de prédateur des groupes automobiles américains en difficulté.
Le syndicat UAW vit des heures sombres. D'un côté, il est accusé de couler l'industrie en s'accrochant aux avantages acquis : bons salaires et prestations sociales confortables en matière de santé et de retraite ; de l'autre, on lui reproche de lâcher ses membres sans se battre. L'UAW a accepté au mois de septembre, pour éviter la faillite de Ford, le plan de la dernière chance : le groupe a proposé aux 75 000 ouvriers nord-américains de renoncer à leur contrat de travail et de démissionner, en échange d'indemnités substantielles.
Le constructeur espère convaincre au moins 30 000 d'entre eux de partir. " Une fois encore, nos membres répondent présent quand il faut faire des choix douloureux, explique pour se justifier Ron Gettelfinger, le président du syndicat. Maintenant, c'est la responsabilité de l'entreprise Ford de mener cette société dans la bonne direction." Les pertes du géant automobile pourraient atteindre cette année jusqu'à 9 milliards de dollars (7,2 milliards d'euros).
A Wayne, les cols bleus de passage à la Local 900 sont en plein désarroi. "On ne voulait pas regarder la réalité en face. Nous vivions notre rêve américain tout en sachant bien que la catastrophe allait venir. Nous en plaisantions entre nous pour masquer l'angoisse. Maintenant, il faut partir avec un petit quelque chose ou tenter de rester, sans garantie", soupire Jonathan Safford, 43 ans, dont dix-huit passés sur la chaîne de montage de Wayne. Les salariés ont jusqu'au 27 novembre pour accepter ou non ce qu'on appellerait en France un plan social.
Différentes options leur sont offertes, en fonction de leur âge, de leur ancienneté, de leur expérience. Les indemnités vont de 35 000 à 140 000 dollars et il existe même la possibilité pendant quatre années de suivre des études à l'université en partie payées en conservant 90 % de son salaire. " Je peux ramasser 35 000 dollars et conserver mes droits à la retraite et mon assurance santé", explique Howard Stock, 42 ans.
Il peut aussi choisir de toucher 140 000 dollars, mais en renonçant à sa couverture médicale. "Si votre épouse travaille et bénéficie d'une bonne assurance-santé, il faut prendre les 140 000 dollars. De toute façon, compte tenu de la vitesse à laquelle s'effondre cette industrie, il ne faut pas que je compte sur une retraite un jour. Avant, l'automobile, c'était la sécurité ; aujourd'hui, on ne sait pas ce qui va nous arriver la semaine prochaine", ajoute-t-il.
Le calcul de Michael Erlich, 55 ans, qui avoue ne plus dormir la nuit, est différent. Il veut tenir jusqu'à la retraite. Il espère que suffisamment de salariés accepteront de partir pour qu'il puisse continuer à travailler et, même si l'usine de Wayne ferme, être transféré dans une autre. " C'est un pari, mais je n'ai pas vraiment le choix. Je suis malade, je suis en surpoids, j'ai des problèmes d'hypertension et de cholestérol. Je n'ai presque aucune chance de retrouver un travail avec un salaire décent et une bonne assurance maladie. Retourner à l'école, ce serait trop dur. Mon destin est maintenant entre les mains de Dieu."
Si Ford, comme d'ailleurs son concurrent General Motors (GM), offre autant d'argent pour partir, c'est qu'il ne peut pas licencier. Au pays du capitalisme sauvage, les ouvriers des grands groupes automobiles sont une exception. Leur syndicat signe au nom de tous les ouvriers un contrat de travail irrévocable et pluriannuel avec l'employeur. Lorsqu'une usine ferme et que les salariés refusent les indemnités de départ, ils continuent à être payés. Pendant un certain temps, variable selon les Etats, ils perçoivent l'assurance-chômage avec un complément de Ford ou de GM pour qu'elle représente 95 % de leur salaire.
"NOUS COÛTONS TROP CHER"
Certains peuvent entrer dans la catégorie des "emplois garantis" : ils touchent leur salaire et leurs prestations sociales et forment une force de travail de réserve disponible. Ces avantages existent depuis les années 1970 et 1980 mais sont menacés à chaque renégociation de la convention collective. La prochaine se tiendra en 2007 et s'annonce difficile : il y a toujours la menace d'un dépôt de bilan, comme en 2005 chez Delphi, le plus grand équipementier automobile américain. Du jour au lendemain, les contrats sont devenus caducs.
A Wayne, tout le monde a conscience d'être en sursis. Thomas Molesky, chez Ford depuis onze ans, le regard noir, s'emporte contre la mondialisation, les constructeurs japonais, coréens, européens, et plus encore contre les dirigeants de Ford. " Ils ont promis ceci, ils ont promis cela. Ce sont des incapables, personne ne veut de leurs voitures. Ce n'est pas de notre faute", s'exclame-t-il. Ils sont nombreux à considérer qu'il faudra quitter Wayne. "Ici, nous avons des salaires entre 30 et 40 dollars de l'heure. Si vous cherchez un travail dans la région, vous aurez de la chance d'en trouver un à 15 dollars de l'heure", souligne M. Molesky.
Wayne ne s'en remettra pas. "La moitié des maisons ici sont déjà à vendre. Les commerçants devront fermer boutique", explique Tracy Hopman. "J'ai deux enfants. Ils n'ont aucun avenir ici. Les générations d'ouvriers dans l'automobile, c'est fini. On va peut-être même devoir partir au Mexique, où Ford construit des usines, dit-elle sur un ton qui se veut ironique. Tandis qu'ici, aux Etats-Unis, il veut en fermer seize d'ici à 2008. Vous vous rendez compte, seize usines ! Nous coûtons trop cher. C'est quand même pas un crime de vivre décemment", ajoute-t-elle.
L'école de psychologie du Michigan (Michigan School of Professional Psychology) organise dans la localité une série de conférences sur le thème : "Savoir transformer la perte d'emploi en nouvelle chance". Dans le journal local The Observer, la chroniqueuse Stacy Jenkins écrit qu'il faut rester positif et créatif. Trouver quelque chose qui vous intéresse ou que vous avez toujours voulu tenter sans oser ou pouvoir le faire.
Randy Williams, qui travaille depuis vingt ans chez Ford n'est pas convaincu. "J'ai 49 ans. Je ne suis pas comme ces types de 24 ans qui peuvent prendre l'argent et faire ce qu'ils veulent avec. Pour moi, je ne vois pas de nouvelle chance. Plutôt la fin d'une vie où l'avenir semblait assuré."
Eric Leser
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« En Angleterre, tout est permis, sauf ce qui est interdit. En Allemagne, tout est interdit, sauf ce qui est permis. En France, tout est permis, même ce qui est interdit. En U.R.S.S., tout est interdit, même ce qui est permis. »
Winston Churchill