Renault-Nissan pourrait venir en aide à General Motors
LE MONDE | 01.07.06 | 13h16 • Mis à jour le 01.07.06 | 13h16
Carlos Ghosn est prêt à accueillir General Motors (GM) au sein de l'alliance Renault-Nissan. Le PDG des constructeurs français et japonais a confirmé, vendredi 30 juin, qu'il avait été sollicité par Kirk Kerkorian, principal actionnaire individuel de GM, pour réfléchir à la possibilité d'une coopération à trois.
Le milliardaire de 89 ans, qui détient 9,9 % du numéro un mondial de l'automobile, a écrit une lettre à son PDG, Richard Wagoner, lui demandant "d'étudier immédiatement et complètement" la possibilité de se joindre à l'alliance entre Renault et Nissan. Le document signé par Tracinda, la holding de M. Kerkorian, a été remis vendredi 30 juin à la Securities Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse américaine, et a été également envoyé à Carlos Ghosn, patron de Renault et Nissan, et Louis Schweitzer, président du conseil d'administration de Renault.
La lettre précise : "Comme nous en avons récemment discuté avec M. Ghosn, Tracinda croit que General Motors, Renault et Nissan doivent explorer une alliance des trois sociétés. D'après ce que nous avons compris, Renault et Nissan sont réceptifs à l'idée d'inclure General Motors dans leur partenariat et à l'acquisition d'une participation minoritaire substantielle dans General Motors."
Le milliardaire demande la formation au sein du conseil d'administration de GM d'une commission pour étudier un rapprochement. Le principe en a été accepté par la direction de GM, qui a convoqué d'urgence les administrateurs vendredi soir. "Nous pensons que participer à un partenariat mondial avec Renault et Nissan pourrait permettre à General Motors de dégager d'importantes synergies et économies, ce qui profiterait à l'entreprise et créerait de la valeur pour l'actionnaire", conclut Tracinda. "C'est une proposition sérieuse, et nous devons la prendre sérieusement", indiquait-on chez GM vendredi soir. Fritz Henderson, directeur financier de GM, devrait être chargé d'étudier le rapprochement.
L'idée a été présentée par le milliardaire à M. Ghosn lors d'un dîner le 15 mai à Nashville (Tenesse), siège de la filiale américaine de Nissan. M. Kerkorian aurait alors proposé que Renault et Nissan prennent chacun 10 % de GM pour une mise totale de 3 milliards de dollars.
"A cette heure, le sujet n'est certainement pas financier, tempère-t-on dans l'entourage de M. Ghosn. Il s'agit d'étudier ce qu'une alliance peut apporter en terme de taille, de prix ou de positionnement sur tel ou tel marché, mais pour que ça marche, il faut que le conseil d'administration et le management de GM soient convaincus de la pertinence de ce type d'alliance." Vendredi, la réaction à Wall Street a été immédiate, même s'il s'agit d'une hypothèse. Le titre GM, très spéculatif, a gagné près de 11 % en début de journée et fini la séance sur une progression de 8,6 %.
Ghosn a toujours dit que l'alliance restait ouverte à d'autres partenaires, à partir du moment où l'esprit de celle-ci n'était pas dévoyé. Si l'identité et la culture de chacun des partenaires sont respectés et qu'il y a une totale transparence sur les domaines de coopération, l'alliance est quasiment sans limite", explique au Monde un proche de M. Ghosn. "Il ne s'agit pas de réfléchir à une fusion classique. On a vu ce que cela donnait dans d'autres entreprises : il y a toujours un gagnant et un perdant. Ce n'est pas notre philosophie", indique cette source.
L'idée de départ est simple. M. Kerkorian, qui cherche à valoriser sa participation dans GM, se dit que ce qui a marché pour redresser Nissan, qui est devenu en cinq ans le constructeur le plus rentable du monde, peut marcher pour le numéro un mondial. Nissan et Renault sont les constructeurs automobiles dont le cours de Bourse a le plus progressé depuis 2001.
Cette performance est le fruit d'un rapprochement inédit entre les deux entreprises. L'alliance initiée en 1999 par Louis Schweitzer, alors PDG de Renault, vise à partager les domaines où chacune des deux entreprises est la plus performante. Par ailleurs, les deux constructeurs développent des moteurs, des boîtes de vitesse ou des plateformes communes, qui permettent de dégager des économies d'échelle, tout en permettant à chaque marque de garder son identité. Enfin, Renault et Nissan réalisent 70 % des achats à leurs fournisseurs au travers d'une structure commune.
Le projet d'inviter un troisième partenaire dans cette alliance est-il pour autant réaliste ou s'agit-il d'un coup de bluff de la part de M. Kerkorian pour déstabiliser le conseil de GM et le contraindre au changement ? Le raider n'en est pas à son premier coup de poker. C'est le sentiment de Dieter Zetsche, le président de DaimlerChrysler. Il l'a souligné vendredi du siège de Chrysler à Detroit (Michigan) : "Parfois, l'information est en elle-même le propos et ne conduit pas nécessairement à un résultat."
M. Kerkorian a acquis il y a un an 9,9 % du capital de GM, entendant peser sur la stratégie du groupe automobile comme il l'a fait dans le passé avec Chrysler.
Pour le moment, l'investissement de 1,69 milliard de dollars n'a pas dégagé la moindre plus-value. M. Kerkorian a payé en moyenne ses actions 30,24 dollars et le cours était vendredi soir, en dépit d'une forte hausse, toujours inférieur à 30 dollars. Mais le titre a tout de même gagné 50 % depuis le début de l'année et M. Kerkorian a pour habitude de parvenir à ses fins.
Son principal conseiller, Jerry York, est entré en janvier au conseil d'administration du GM avec pour ambition de contraindre les dirigeants à prendre des mesures de restructuration radicales. Le groupe a perdu 10,6 milliards de dollars en 2005, essentiellement en Amérique du Nord où il ne cesse d'abandonner des parts de marché et où sa rentabilité est handicapée par des engagements sociaux considérables.
En mars, un juge fédéral a avalisé le plan de GM approuvé par le syndicat de l'automobile (UAW) qui contraint 400 000 retraités du groupe à payer des sommes plus importantes pour leurs soins médicaux. Au début de la semaine, General Motors a annoncé la suppression de 35 000 postes en Amérique du Nord, toujours à la suite d'une négociation avec l'UAW.
Mais dans le même temps, la situation commerciale ne cesse de se dégrader. Les ventes de GM étaient en baisse en mai de 12,5 % par rapport à la même période de l'an dernier. Reste à définir ce que pourrait apporter le tandem Renault-Nissan au géant de l'automobile. "C'est encore trop tôt pour évoquer ce type de sujet", indique-t-on dans l'entourage de M. Ghosn.
Mais la principale interrogation porte sur la capacité de GM à pouvoir participer à une telle alliance. L'américain a toujours été dans le rôle du prédateur : soit sous la forme de prise de contrôle (du suédois Saab ou du coréen Daewoo), soit sous la forme de prise de participations qui ont fait long feu (avec l'italien Fiat ou les japonais Isuzu, Suzuki ou Subaru). GM saura-t-il s'adapter à la philosophie Renault-Nissan, qui repose sur un subtil équilibre et où les rapports de force sont exclus ?
Stéphane Lauer et Eric Leser (à New York)
RENAULT-NISSAN
L'ALLIANCE.
Renault détient 44,4 % du capital de Nissan, et Nissan détient 15 % de celui de Renault. Les ventes totales de Renault et de Nissan dans le monde représentent 5,7 millions de véhicules par an, soit plus de 9,6 % du marché mondial. L'Alliance Renault-Nissan figure parmi les quatre premiers constructeurs automobiles mondiaux et regroupe cinq marques : Nissan et Infiniti pour le groupe Nissan ; Renault, Dacia et Samsung pour le groupe Renault.
EFFECTIFS.
Renault compte 130 573 salariés et Nissan 169 644 salariés.
RÉSULTATS.
Renault a réalisé en 2005 un bénéfice net de 3,5 milliards d'euros, pour un chiffre d'affaires de 40,7 milliards. Nissan affiche sur l'exercice fiscal 2005-2006 un bénéfice net de 3,8 milliards d'euros, pour un chiffre d'affaires de 63,8 milliards.
CAPITALISATION.
Au 30 juin, Renault vaut en Bourse 23,9 milliards d'euros, et Nissan 38,6 milliards.
GENERAL MOTORS
RÉSULTAT NET 2005.
Le groupe automobile a accusé une perte nette de 10,6 milliards de dollars (8,3 milliards d'euros) Chiffre d'affaires 2005. 192 milliards de dollars, soit 150,2 milliards d'euros.
CAPITALISATION BOURSIÈRE.
Au 30 juin, elle était estimée à 16,85 milliards de dollars, soit 13,18 milliards d'euros.
EFFECTIFS.
Au 31 décembre 2005, General Motors employait dans le monde 335 000 salariés.
NOMBRE DE VÉHICULES VENDUS DANS LE MONDE EN 2005.
9,08 millions. Le groupe vend désormais un nombre plus important de véhicules à l'étranger qu'aux Etats-Unis.
MARQUES PRINCIPALES.
Chevrolet, GMC, Cadillac, Pontiac, Opel, Saab, Hummer, Vauxhall, Buick, Saturn, Daewoo.
ACTIONNARIAT.
Kirk Kerkorian détient 9 % du capital de GM, aux côtés de State Street Corp., qui en possède 15,27 %, de Capital Research (14,16 %) et de Brandes Investment (10,95 %).
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3234,36-790641@51-784526,0.html