Citation:28/11 | 07:00 | Véronique Richebois
Quand Renault pastiche Opel
Septembre 2010 : l'agence McCann Erickson diffuse en France une campagne pour Opel insistant sur la fiabilité du constructeur... en allemand dans le texte. Avec en chute du spot cette phrase martiale : « Wir leben Autos » (littéralement : « Nous vivons la voiture »). « Opel souhaitait repositionner la marque, explique Philippe Lentschener, président de l'agence McCann, et a choisi d'insister sur sa solidité, qui fait partie de son ADN. A partir de là, nous avons effectué un véritable saut créatif en exprimant cette qualité en allemand. »
Un an plus tard, les téléspectateurs découvrent un autre film, reprenant celui d'Opel presque geste pour geste, mot pour mot, avec une démonstration produit identique... mais pour la Mégane de Renault. La campagne est assortie d'un allemand des plus approximatifs. Sans que le nom d'Opel ne soit jamais cité, le voilà tourné en dérision. Renault conclut sa performance créative par un « Ich bin eine Berline ». Une phrase que son agence Publicis traduit par : « Je suis une Berline. » Le clin d'oeil est évident et fait référence au « Ich bin ein Berliner » de Kennedy, en juin 1963 devant le mur de Berlin.
Le spot Renault de trente secondes est diffusé le dimanche 17 octobre en prime time, à l'insu d'Opel. Sur Internet, le buzz démarre au quart de tour : « Nous avons posté le film sur le Web et il a recueilli 300.000 vues sur le seul dimanche », se souvient Olivier Altmann, directeur de création de Publicis. Le tout pour un coût compris entre 80.000 et 100.000 euros. « L'idée est venue au printemps », explique-t-il. « Nous avions alors de très bonnes études et des articles élogieux dans la presse allemande, vantant les progrès accomplis par les constructeurs français en matière de qualité. Renault souhaitait le faire savoir. D'où notre idée de ce clin d'oeil à la pub Opel pour rappeler que la qualité peut être aussi française. » Mais, chez le constructeur allemand, c'est la stupéfaction : « J'ai découvert ce soir-là cette campagne qui était aussi surprenante qu'inattendue, se souvient David Bucher, directeur du marketing Opel France. En règle générale, le leader du marché ne copie pas le challenger ! » Philippe Lentschener est encore plus cinglant : « C'est une véritable faute marketing ! » Dès le lendemain, l'agence organise une réunion de crise : « Nous avions deux solutions. Soit attaquer la campagne pour parasitage et demander son retrait. Soit s'exprimer dans la presse », ajoute-t-il.
Réponse ironique
Les créatifs de McCann imaginent alors une pleine page presse sur un ton décalé et ironique. « Attenzion ! Des imitations de publicités Opel se sont glissées ces derniers jours dans vos écrans. Ne vous y méprenez pas. Opel décline toute responsabilité quant à la qualité allemande des véhicules qui y sont présentés... » David Bucher ajoute simplement : « Nous avons décidé de mettre en avant notre "germanité". » Car, dans les discours marketing, comme dans l'imaginaire des consommateurs, « qui dit fabrication allemande suggère fiabilité, technologie de pointe, rigueur, perfectionnisme », rappelle le directeur du marketing d'Opel France .
Aujourd'hui, chez Renault, on souhaite calmer le jeu : « Cette campagne n'est pas une parodie du spot Opel , insiste sans rire Steve Norman, directeur marketing monde de Renault. Sur le fond, notre objectif était de souligner que la qualité peut être aussi française. Quant à la réponse d'Opel, elle était très drôle. » Certes, l'impact de cette polémique sur YouTube n'est pas sans lui déplaire : « 1,2 million de pages vues les jours qui ont suivi le passage du spot ! »
La leçon ? Opel y a gagné aussi en notoriété publicitaire (+ 75 % après la diffusion des deux campagnes) et des prévisions de ventes de + 5,8 % pour l'Opel Corsa pour 2011. La parodie peut donc profiter au parodié. En tout cas, elle est dans l'air du temps : après les campagnes Kooples pour Eram (« Les Echos » du 30 mai 2011) et Orangina détournant le discours publicitaire des produits de grande consommation, on assiste à un nouveau type de création, jouant au second degré avec les codes des concurrents, bref, prenant le consommateur pour un citoyen intelligent et doté d'humour. Pour l'heure, après deux vagues de diffusion, Renault a décidé d'enterrer la hache de guerre et de ne pas en diffuser une troisième.
VÉRONIQUE RICHEBOIS, Les Echos