Avec le Kwid, Renault reprend l’offensive dans le « low cost »
Le Monde | 20.05.2015 à 10h29 • Mis à jour le 20.05.2015 à 10h30 | Par Philippe Jacqué (à Chennai, Inde)
Il s’appelle le Kwid. Ce petit 4×4 urbain de Renault, aux allures de Duster, a été dévoilé mercredi 20 mai par Carlos Ghosn à Chennai, la ville indienne où est ancrée l’alliance Renault-Nissan. Ce nouveau véhicule de 3,68 mètres (presque la longueur d’une Twingo) sera commercialisé cet automne entre 300 000 (soit 4 200 euros) et 400 000 roupies (5 500 euros) en Inde. Il arrivera ensuite au Brésil. L’Europe, ce sera plus tard.
« La priorité dans les trois à quatre ans, c’est l’Inde, la région asiatique et d’autres marchés émergents. Pour le moment, nous n’avons pas de plan pour le lancer en Europe, précise M. Ghosn, le patron de Renault et Nissan. Ceci dit, il faut être prudent. Au début des années 2000, Renault n’entendait pas vendre la Logan en Europe occidentale. Aujourd’hui, la Logan et ses cousines, comme le Duster ou le Sandero, sont un grand succès… »
Avec une nouvelle plate-forme, un nouveau moteur, une nouvelle boîte de vitesse, ce véhicule émet peu de CO2, et respecte les réglementations de sécurité indienne. Le Kwid doit permettre à Renault de percer enfin le marché indien des voitures de moins de quatre mètres et de moins de 5 500 euros, un quart du marché indien, et d’y atteindre les 5 % de part de marché qu’il vise à moyen terme.
Aujourd’hui, la marque au losange est en Inde le premier constructeur européen avec 1,5 % du marché, très loin des cadors locaux Maruti-Suzuki (46 % du marché) et Hyundai (16 %). Avec les équipements du Kwid relativement haut de gamme pour ce segment, Renault a des chances de réussir.
Huit modèles attendus
Après l’échec en 2010 de son projet de véhicule au prix public de 2 500 euros avec Bajaj, Renault et Nissan ont trouvé l’équation impossible pour construire un véhicule à moins de 2 000 euros ! C’est plus de deux fois moins que la Logan, déjà vu par la concurrence comme une prouesse tant technique qu’économique.
Le Kwid préfigure une nouvelle gamme de petits véhicules abordables. Dans les années à venir, huit modèles pourraient être assemblés sur cette nouvelle plate-forme pour les marques Renault, Dacia, mais aussi Nissan ou Datsun.
« En 2010, pour développer des petits véhicules, nous avons réfléchi à raccourcir la plate-forme de la Logan, qui est utilisée pour les véhicules de plus de 4 mètres, se rappelle Arnaud Deboeuf, aujourd’hui vice-président de l’alliance Renault-Nissan. Nissan cherchait sa voie pour entrer sur ce marché. En 2011, nous nous sommes unis pour inventer cette nouvelle plate-forme qui sera adaptée aux véhicules de 3,20 à 4 mètres. »
« En travaillant ensemble, on pouvait non seulement partager l’investissement initial et prévoir des volumes mondiaux suffisants pour négocier des prix avec les fournisseurs », complète Vincent Cobée, le directeur général de Datsun, qui lancera début 2016, un véhicule sur la plate-forme du Kwid.
Au total, les deux groupes ont investi 420 millions d’euros pour l’ensemble des nouveautés et la création d’un atelier de moteurs, ainsi que l’adaptation de l’usine. Bien loin des milliards dépensés par ses concurrents pour de tels projets. « Il faudra tout de même écouler à moyen terme au moins 500 000 véhicules par an pour rentabiliser la plate-forme… », indique-t-on au sein du groupe.
Page blanche
Pour réussir cette prouesse, M. Ghosn a remis les clés du projet à Gérard Detourbet, l’un des pères de la Logan. A 67 ans, il relève un dernier pari « pour s’amuser », dit-il, deux ans sous la canicule indienne plus tard. Il a obtenu carte blanche du patron avec pour seul objectif : obtenir un taux de rentabilité à deux chiffres de la future plate-forme…
« Contrairement à Logan, où l’on avait repris de nombreux éléments déjà existants chez Renault, la plate-forme du Kwid a été créée à partir d’une page blanche, explique l’ingénieur. Mais, sans le savoir-faire accumulé pendant douze ans par Renault dans le programme Logan, nous n’y serions pas arrivés. »
Quelque 350 personnes, dont nombre d’anciens de l’aventure Logan et des ingénieurs indiens du centre de recherche de l’alliance, sont rassemblées pour le projet. « Nous nous sommes isolés du reste de l’entreprise afin de ne pas être pollués par des modes de fonctionnement classiques », précise M. Detourbet.
Pour adapter ses coûts au marché indien, l’équipe remet tout à plat. Les 2 500 pièces du véhicule sont passées à la moulinette avec les fournisseurs du cru. Conclusion, 98 % des composants sont « made in India » ! « Nous avons redessiné les pièces pour les rendre plus simples à produire et à assembler, commente -t-il. En Inde, nous avons trouvé des processus de production extrêmement frugaux. En retouchant à la fois le produit et le process, nous avons fait d’importantes économies… La simplicité fait gagner beaucoup d’argent ! »
Ainsi la « fourchette » de la nouvelle boîte de vitesse (là où s’enclenche le levier de vitesse) a été simplifiée afin d’être « mécano soudée » à la main… « Le dessin d’une fourchette européenne nécessitait une production par un robot : trop onéreuse… », tranche M. Detourbet qui a « obtenu des fournisseurs locaux, les prix locaux, pas ceux pour les étrangers… »
Une usine sans mur
Si l’assemblage du véhicule ne diffère pas d’autres lignes dans le monde, avec tout de même moins de robots, l’atelier de production du nouveau moteur est un bijou d’optimisation. Pour rafraîchir le lieu, l’usine n’a pas de… mur. Un atout dans un pays où l’humidité est de 80 % et la chaleur oscille entre 30 et 40 degrés.
Aucune machine n’est fixée au sol. « Ce lieu est très flexible. En bougeant les machines, on peut le compacter et facilement augmenter sa capacité de production », précise le patron du projet. Seul bémol, le nouveau lieu ne respecte aucun standard de production de Nissan ou de Renault ! À ce sujet, comme sur d’autres, la tension est montée entre les équipes en Inde, Renault et Nissan. « Les ingénieries des deux groupes ont eu du mal à accepter ce projet exotique… », confirme une source. En 2013, M. Detourbet n’a d’ailleurs pas hésité à remettre sa démission à M. Ghosn face aux blocages… Refusée par le PDG.
« Pour un tel projet, il y a des conflits à tous les étages », confirme une source. « Quand on doit tout réinventer, un management rugueux fait parti de l’équation », confirme une autre. « Si Renault a réussi à développer des véhicules à bas coût ultra-rentables, alors que tous les autres grands groupes échouaient, c’est qu’il dispose d’ingénieurs qui ne rentrent pas dans le rang, complète un consultant. Des pirates que n’hésitent pas à aller au-delà du système. »
Philippe Jacqué (à Chennai, Inde)
Rédacteur au service économie (automobile et transport)
En savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/05/20/avec-le..#CvuWg683BrvgPiRM.99