Logan (2005) et Sandero (2007)
"En 1995, pour assurer la croissance rentable de Renault, j'ai pris la décision d'engager l'expansion de l'entreprise sur les marchés hors d'Europe " nous rappelle Louis Schweitzer. La Dacia Logan, ou voiture a 5000 euros est la nouvelle arme de Renault pour attaquer les nouveaux marché.
Le rachat de Dacia par Renault au milieu des années 90 est très stratégique. Avec cette petite marque quasiment inconnue en dehors de la Roumanie, Renault via son PDG Louis Schweitzer, veut devenir international.
Pour cela, il doit produire des voitures à bas coût, et Dacia, avec son usine en Roumanie, est la marque parfaite pour cela.
C'est ainsi que le projet X90 est lancé au début des années 2000 alors que Dacia ne propose encore qu'une gamme basée sur la R12. 4 ans plus tard, le projet devient Logan, une berline tricorps qui est commercialisée fin 2004.
La Logan, une voiture simple et bon marché
Le choix d'une carrosserie tricorps s'est imposé d’emblée car il est perçu comme très valorisant et porteur d'un fort statut dans les pays de croissance. Forme et fonction sont indissociables : la découpe du coffre arrière qui assure un seuil de chargement très bas est protégée par le revêtement de la face supérieure du pare-chocs arrière. Les feux arrière, placés en angle, adoucissent les arrêtes structurées du véhicule. La face avant exprime la nouvelle identité de la marque Dacia, apparue sur la Solenza.
Sur la calandre, le nouveau blason est mis en valeur. Des projecteurs à glace lisse renforcent la modernité de la face avant. L'intérieur du véhicule a été particulièrement soigné. Les accostages et le choix des matériaux font écho à la robustesse et à la qualité de l'extérieur. Une planche de bord monobloc a été choisie parce qu'elle élimine les jeux d'accostages, occulte la visserie de fixation, et garantit une excellente tenue dans le temps.
Au centre, la console technique regroupe les commandes de confort (climatisation, radio…) facilement accessibles et simples à utiliser. Les compteurs et des commandes au volant ajoutent au dynamisme et à la modernité du véhicule.
Afin de vendre des modèles plus rentables, la logique de montée en gamme est voulue visible dès le premier coup d'œil, parce qu'elle représente un signe distinctif pour les clients.
Ainsi aux boucliers plastiques gris et triste du premier niveau de finition, la version Ambiance se distingue par un bouclier de ton carrosserie en partie basse, un enjoliveur d'aspect chromé sur la calandre, des protections latérales et des enjoliveurs de roue.
En version haut de gamme Lauréate, tout le bouclier est peint ton caisse, les roues ont un diamètre de 15 pouces, un jonc chromé court autour de la calandre et des projecteurs antibrouillards sont intégrés.
La Logan, une voiture de compromis
Pour réduire au maximum la facture, où "chaque sous est un sous", les compromis sont permanent. Il faut être rationnel au maximum. Pour cela, Renault va piocher au sein de sa banque d'organe.
Pendant longtemps, des rumeurs faisaient état d'une R19 légèrement modifiée, mais il n'en sera rien. La Logan est bien une toute nouvelle voiture mais qui utilise de nombreuses pièces déjà connues.
L'utilisation des mêmes éléments dans plusieurs véhicules d'un constructeur automobile est une assurance de fiabilité pour les clients et un gage d'économie pour la marque. Cette logique se retrouve donc à tous les niveaux dans le développement de la Logan.
Ainsi, Logan puise directement ses racines dans deux projets existants: la plate-forme B de l'Alliance et la Clio. En réutilisant cette plate-forme, les coûts de développement de la base roulante, les frais de méthodes et les coûts des outils de fabrication sont déjà amortis.
Outre la plate-forme, pratiquement tous les éléments sont repris chez Renault. Le module de chauffage par exemple, est celui qui est utilisé par les véhicules Renault du segment B, comme la Modus. Sa conception monopièce (conduits simples, circuits courts) permet d'obtenir une installation très fiable et de réaliser des économies de conception, sans concession sur les performances thermiques, au meilleur niveau de la catégorie.
Les fonctions électroniques ont également été regroupées dans l'unité centrale de l'habitacle (UCH), dérivée de celle qui équipe les Clio et Twingo. De la Clio, la Logan reprend le compartiment moteur, conçu avec les mêmes interfaces afin de réutiliser des process de montage déjà maîtrisés. Toujours en mécanique, Logan adopte les moteurs, les trains avant, la direction, et les freins arrière de Clio, ainsi que son instrumentation, ses poignées de porte, son volant et ses commodos tandis que certains éléments, comme les aérateurs et le pommeau de levier de vitesses, ont déjà été utilisés sur l'ancien Espace.
Si Renault fait de sérieuses économies sur la conception est les frais de process, il en est de même sur la production. Le programme X90 prévoit l'assemblage du véhicule dans des sites de fabrication aux coûts très compétitifs. Renault a choisi d'utiliser des processus à haute intensité de main d'œuvre en montage en recourant aux technologies disponibles localement, ainsi qu'à une robotisation et une automatisation réduites.
Par ailleurs, de nombreuses pièces mécaniques sont usinées sur place, au sein de l'usine de Pitesti en Roumanie. : couvercle de culasse, supports intermédiaires, supports moteurs, carters d'huile, et même les moteurs et les boîtes de vitesses sont entièrement assemblés localement.
Logan, habitabilité record pour un prix exceptionnel
La conception de la Logan a tourné autour d'un principe vital: celui de pouvoir transporter 5 personnes et leur bagage. Ses formes et ses dimensions lui assurent une bonne habitabilité avec une longueur de 4 250 mm, une largeur de 1 735 mm, et une hauteur de 1 525 mm.
Si ses côtes ne font pas d'elle une athlète, ni un canon de beauté, elle se révèle très fonctionnelle. Son habitabilité intérieure est ainsi l'un de ses atouts principaux, en plus du prix. Les places arrière ont fait l'objet d'un soin tout particulier puisque trois passagers de très grande taille (plus de 1,90 m) peuvent s'y installer confortablement, avec une garde au toit de 25 mm.
L'espace aux pieds est généreux avec 420 mm de largeur. Les clients des pays "grand froid" pourront facilement y loger des chaussures encombrantes. Enfin, le volume de coffre de 510 litres est sans égal parmi la concurrence dans sa catégorie. Une Hyundai Accent ou une Daewoo Lanos Sedan offrent respectivement 321 et 395 litres, et sa géométrie permet le chargement d'objets de formes très diverses.
Une voiture économique à l'usage
Peu onéreuse à l'achat, la Logan doit également être économique à l'usage. L'utilisation d'ancien moteurs éprouvés, fiables, et ne demandant pas un entretien très régulier, permet de faire baisser la facture.
L'équipe projet a ainsi recherché une fiabilité et une durabilité sans compromis. Tous les choix techniques ont pris en compte cette volonté, à partir d'une conception guidée par la simplicité. Les motorisations 1.4 l et 1.6 l 8 soupapes (famille K) et la boîte de vitesses JH ont déjà fait leurs preuves dans la gamme Renault. (Renault 19, Clio, Mégane I, ...)
Des groupes motopropulseurs et un design contemporain
La gamme des motorisations s'articule au lancement autour de deux versions essence 1.4 l 75 ch et 1.6 l 90 ch. Mais, grosse nouveauté chez Dacia, une version Diesel 1.5 dCi 65 ch complétera cette offre en 2005, ainsi qu'une version essence plus puissante 1.6 16V 107 ch.
Le moteur 1.4 l 75 ch développe une puissance de 55 kW (75 ch) à 5 500 tr/mn et offre un couple de 112 Nm à 3 000 tr/mn. Sur le plan de la consommation. La valeur est de 6,8 l en cycle mixte, soit 164 g de CO2/km.
Le moteur 1.6 l affiche une puissance de 64 kW (90 ch) à 5 500 tr / mn et un couple de 128 Nm à 3 000 tr/mn. Ces deux motorisations sont associées à une boîte de vitesses mécanique à 5 rapports, utilisée par Ia Mégane II.
Avec la version 1.6 l 90 ch, Logan affiche une vitesse maximale de 175 km/h et passe de 0 à 100 km/h en 11,5 secondes.
Une grande réussite commerciale
En juin 2006, Renault annonce avoir déjà produit plus de 250.000 Logan en Roumanie, premier site de fabrication du véhicule. Le 250.000ème exemplaire de Logan est sorti des chaînes de production de l'usine roumaine de Pitesti le 29 mai dernier 2006. Ce site fournit 35 des 42 pays dans lesquels Logan est commercialisée, soit l'ensemble des marchés européens ainsi que la Turquie, l'Algérie, l'Ukraine, le Moyen-Orient et l'Afrique centrale.
La Logan est également produite en Russie (25.000 véhicules produits entre avril 2005 et mai 2006), au Maroc et en Colombie, puis en Iran et en Inde.
Entre septembre 2004 et mai 2006, 267.000 Logan ont été vendues avec une répartition centrée à 56% en Europe Orientale (dont la Roumanie), à 20% en Europe (26 pays dont la France qui représente 7% des ventes monde), à 10% en Russie/CEI, 5% en Turquie, 5% au Maghreb, et 4% dans le reste du monde (Amériques, Asie, Afrique).
La Sandero, une Logan à hayon
Développée sur la plateforme de Logan et fabriquée à l’usine de Curitiba (Brésil), et en Roumanie, la Sandero est commercialisée au Brésil et en Argentine dès décembre 2007. C'est la nouvelle arme Low Cost de Renault et de Dacia.
Depuis son arrivée, la Sandero, une berline accessible au plus grand nombre, bien plus sexy que sa grande soeur la Logan, séduit, et sera LE modèle de Dacia et de Renault détrônant ainsi la Logan.
En France, elle arrive le 27 juin 2008 avec 2 motorisations essence et des tarifs "alléchants":
1,4 MPI 75ch:
- Base 7800€ (soit + 200€ par rapport à la logan)
- Ambiance 8500€
- Lauréate 9300€
1,6 MPI 90ch:
- Lauréate 9800€
- Prestige 10900€
Si on la compare avec ses petites soeurs:
- Clio (2) 1,2: 11300€ soit + 3500€
- Clio (3) 1,2: 12450€ soit + 4650€
- Twingo (2) 1,2: 7990€ soit + 190€
Si on la compare avec la concurrence française:
- 107 1,0: 8950€ soit + 1150€
- 206 1,4: 11800€ soit + 4000€
- 207 1,4: 12800€ soit + 5000€
- C1 1,0: 8700€ soit + 900€
- C3 1,1: 12450€ soit + 4650€
Bien sur il faudrait comparer les finitions et le bonus/malus, mais proposer une voiture équivalente 5000€ de moins qu'une 207 de base, cela fait réfléchir...
De l'Iran à l'Inde, une carrière internationale
La Logan va être distribuée dans de nombreux pays. En Roumanie et en Europe de l'Ouest bien sur, mais aussi dans des pays comme la Russie (Lada Largus), en Inde ou encore en Iran sous l'appellation Tondar 90 et Tondar 90+
De nombreuses évolutions et modèles dérivés
La Logan va rapidement donner vie à de nouveaux modèles. La Logan va ainsi devenir un break, un van, et même un petit pick-up.
En réutilisant sa plate-forme, et bon nombre d'éléments, Renault va même créer de nouveaux modèles, comme la Sandero ou encore le Duster.
En 2008, la Logan est restyée. Bien plus sexy, la nouvelle venue gagne clairement en sex-appeal, avec l'adoption de nombreux éléments chromés et d'une nouvelle face avant.
Louis Schweitzer "comment j'ai imposé la Logan chez Renault
Dans son livre "Mes années Renault", publié en janvier 2007, Louis Schweitzer raconte comment il a réussi à imposé la Logan chez Renault, dont certains extraits ont été publiés.
- À quel moment avez-vous estimé que la conquête de l’Europe était une réussite et que Renault était prêt à aller plus loin ?
En 1995, la conquête de l’Europe était accomplie, et j’ai proposé au comité de direction de reformuler notre axe stratégique en « internationaliser Renault ». Cette proposition a suscité une joie intense dans la maison, qui m’a beaucoup frappé. Les gens ont ressenti une sorte de soulagement, un peu comme s’ils avaient eu l’impression qu’ils avaient fini leurs devoirs : après une série d’exercices ardus, mais utiles, leur horizon s’ouvrait. Cela ne voulait pas dire que la suite serait nécessairement facile, mais, en tout cas, nous pouvions nous lancer à l’assaut du monde avec enthousiasme.
- Dans votre analyse stratégique, comment divisez-vous le monde entre l’Europe et l’international ?
Pour nous, l’Europe est constituée des vingt-cinq, auxquels s’ajoutent la Norvège et la Suisse. La Roumanie, la Russie et la Turquie relèvent de l’international.
- Vous avez racheté le constructeur roumain Dacia en 1999 puis, en 2004, lancé une voiture d’un nouveau type, la Logan, à cinq mille euros, destinée avant tout au marché international. Comment est né ce projet ?
L’idée d’un véhicule bon marché est très ancienne chez Renault, mais, avant la Logan, elle n’avait jamais débouché sur un projet concret. Il y avait eu, par exemple, un « projet » de voiture conçu par la CGT, appelé Neutral, une anagramme de Renault, qui n’avait jamais dépassé le stade de la maquette. Si ces projets ne se sont pas concrétisés, c’est que la voiture bon marché était considérée comme un objet sans avenir commercial, un objet qui se vendrait nécessairement moins cher qu’il ne coûterait.
Ni les ingénieurs ni les cadres de Renault n’étaient intéressés par un projet bas de gamme. En 1995, lors de la réunion de cadres au cours de laquelle j’avais lancé la stratégie de l’internationalisation, j’avais été questionné sur l’éventualité de doter l’entreprise d’une seconde marque, haut de gamme, en complément de la marque Renault, par exemple Delage ou Hispano-Suiza à relancer. J’avais répondu en disant que mon idée était plutôt celle d’une marque de premier prix, à l’image des produits libres des supermarchés.
Dans le produit automobile, l’affectif et l’irrationnel, qui font que les consommateurs rachètent une voiture, tiennent un rôle important. Il faut toujours donner aux gens l’envie de remplacer leur automobile qui fonctionne par une autre qui a un petit quelque chose en plus. Cette démarche est au cœur du métier de constructeur automobile. Mais il se trouve aussi que, pour les quatre cinquièmes de la population mondiale, la question qui se pose n’est pas celle du renouvellement, mais de l’accès à l’automobile. Cette réflexion m’a conduit à l’idée d’une automobile rationnelle, qui soit ce qu’avait représenté la Ford T en Amérique dans les années 1910 ou la 4 CV et la Coccinelle en Europe après guerre, c’est-à-dire un objet permettant aux gens d’accéder à la voiture.
Une autre de mes idées était que si Renault voulait réussir à l’international, il lui fallait surmonter son handicap, par rapport à Mercedes, de ne pas avoir de prestige installé, ce qui lui permettrait d’entrer par le haut.
Malgré ces deux convictions fortes, je n’avais à ce stade qu’une idée imprécise de la voiture bon marché. À ce moment-là a eu lieu, à l’automne 1997, le voyage officiel en Russie du président de la République, que j’accompagnais en tant que patron de Renault. J’avais très envie d’installer Renault en Russie, sans toutefois très bien savoir quoi y faire. Ce pays ressemble beaucoup aux États-Unis, à la fois par l’organisation de l’espace et parce que le modèle de réussite, pour les Russes, c’est l’Amérique.
C’est alors que j’ai visité une sorte de hangar immense où l’on vendait des Lada, qui n’étaient rien d’autre que des Fiat du milieu des années 1960. Il s’agissait de voitures tri-corps, constituées d’un moteur, d’une cabine passager et d’une malle arrière, une forme très rationnelle du point de vue économique. Ces très mauvaises voitures, peu fiables, qui avaient plus de trente ans de retard technologique, étaient vendues en moyenne six mille dollars. Les Russes se saignaient aux quatre veines pour les acheter, et elles se vendaient comme des petits pains. L’idée que j’ai ramenée de Russie était qu’il fallait faire une voiture au même prix de vente que ces Lada, mais qui soit une voiture fiable et moderne. Mon idée de faire une voiture rationnelle, sans tous les zakouski qui font la séduction des automobiles traditionnelles, est alors devenue un projet. Le progrès technologique ne devait pas nous empêcher de faire quelque chose au même coût que les voitures qu’on savait faire il y a trente ans.
J’ajoute que si Renault fait des petites voitures telles que la Clio ou la Twingo, qui se vendent environ huit mille euros, aucun cadre moyen russe ne peut s’offrir une voiture à ce prix. Les cadres dirigeants ou assimilés peuvent y arriver, mais une telle acquisition reste inaccessible à la classe moyenne émergente, dont les revenus sont deux à trois fois inférieurs à ceux de la classe européenne sociologiquement équivalente. Si nous voulions toucher ces gens très nombreux, il fallait leur proposer une voiture meilleur marché. Seule une voiture fabriquée dans un pays à la main-d’œuvre bon marché et à la conception peu coûteuse pouvait respecter cette contrainte.
Je suis revenu du voyage en Russie en disant aux cadres de Renault que nous allions faire une voiture moderne, fiable et à six mille dollars. Et là, je dois dire que j’ai fait un four. Je me suis rendu compte que cet objet que je proposais n’intéressait pas, parce qu’il allait à rebours de la ligne du progrès continu, du « toujours plus ». De surcroît, les économistes et les gens qui faisaient les calculs chez Renault démontraient sans difficulté qu’il n’y avait rien à gagner avec un tel projet.
Je me suis alors retrouvé dans la situation de la personne qui est persuadée qu’elle a une bonne idée, mais qui ne parvient pas à la faire partager. À partir de là, il m’a fallu déployer de grands efforts de conviction en interne mais aussi, parfois, ruser.
- Comment vous y êtes-vous pris pour « retourner » l’opinion majoritaire chez Renault et faire aboutir ce projet ?
Une première étape a consisté à acquérir Dacia. Dacia était une firme roumaine qui fabriquait des Renault 12 sous licence Renault depuis les années 1960. L’entreprise employait trente mille personnes pour produire cent mille voitures par an, alors qu’une usine Renault emploie cinq mille personnes pour produire trois cent mille voitures par an. Les ratios de productivité étaient donc sans commune mesure. Les conditions de travail et de sécurité étaient terrifiantes dans cette usine. Cela dit, c’était un pays avec un marché intérieur fermé, au débouché de près de cent mille voitures par an, ce qui n’était pas négligeable, et où la main-d’œuvre coûtait à peu près un euro de l’heure, contre vingt euros en moyenne en Europe occidentale.
Mon idée en rachetant la marque Dacia, qui n’avait aucune valeur en soi, était de lui accoler le projet de voiture à six mille dollars, que nous ne pouvions vendre sous la marque Renault. Si nous avions dit qu’il s’agissait d’une Renault, il aurait fallu qu’elle ait tous les attributs d’une Renault. À la place, nous avons décidé de ne nous imposer aucune des contraintes qui font qu’une Renault est une Renault. Par exemple, on dit qu’une Renault doit se situer à un niveau de sécurité cinq étoiles, qu’elle doit être silencieuse sur autoroute à 130 ou 150 kilomètres à l’heure, etc. Là, non. Nous disions simplement que cette voiture devait être moderne conceptuellement, fiable techniquement, c’est-à-dire ne pas tomber en panne et ne pas coûter plus de six mille dollars.
À partir du moment où le dollar s’est mis à monter par rapport à l’euro, cette limite de prix m’est apparue comme une cible trop facile. Je tenais absolument à ce que le prix de vente se situe à la limite du possible. Je suis persuadé que pour faire avancer les gens, il faut leur fixer des cibles qui les obligent à changer d’univers, qui interdisent de se contenter de petits progrès limités, mais, en même temps, qui ne soient pas totalement irréalistes. Si vous dites à quelqu’un qui est capable de sauter un mètre en hauteur de passer d’un coup à deux mètres, il va passer sous la barre au lieu de sauter. Il fallait donc trouver le bon niveau d’irréalisme. J’ai alors décidé de faire passer le prix de six mille dollars à cinq mille euros.
Malgré les réunions internes que nous avions alors chez Renault, le projet ne démarrait toujours pas, les ingénieurs nous répétant que c’était impossible. J’ai alors fait quelque chose qu’on ne peut pas faire tout le temps en annonçant publiquement que nous allions lancer une voiture à cinq mille euros, sans avoir la moindre certitude que nous pourrions y parvenir. C’était pour moi une façon de mettre l’entreprise au défi, et Renault est une entreprise qui adore les défis. Après cette déclaration, j’ai nommé un directeur de projet, Jean-Marie Hurtiger, un homme à la fois sérieux, travailleur et techniquement bon, et je lui ai demandé de travailler à partir des trois critères que j’avais fixés pour la voiture, à savoir la modernité, la fiabilité et le prix à cinq mille euros, tout le reste pouvant se discuter.
Il m’est arrivé de faire des concessions. Par exemple, lorsque nous en sommes arrivés au stade du prototype, nous nous sommes aperçus que la malle arrière n’était pas vraiment satisfaisante. Le département du design a proposé de mettre l’emblème Logan sur cette malle afin de l’améliorer. Le problème était que cela coûtait un euro par voiture. J’ai alors déclaré que je faisais « cadeau » de cet euro. Cet épisode illustre à quel point nous étions dans un exercice de contraintes financières extrêmes.
Passé un certain temps après la mise au défi, l’ingénierie a effectué un travail remarquable. Les Anglo-Saxons, qui n’aiment pas toujours les Français, ont déclaré qu’il s’agissait d’une voiture « Frankenstein ». La réalité est que la conception de pièces de voitures revient si cher que, lorsque nous avions une pièce qui avait un excellent rapport coût/efficacité et qui était utilisée sur la Modus ou la Clio, par exemple, nous la récupérions. En addition, nous avons réduit de façon si drastique le nombre de pièces que la Logan en compte trois fois moins qu’une voiture traditionnelle et pèse un peu moins d’une tonne, contre plus de mille deux cents kilos pour une Clio.
Il est beaucoup plus facile de faire de la qualité quand vous avez trois fois moins de pièces parce que vous avez beaucoup moins de problèmes d’ajustement de ces pièces. C’est une chose que j’avais apprise du patron de Swatch. L’invention géniale de la Swatch tient à ce qu’elle contient trois ou quatre fois moins de pièces qu’une montre classique. C’est ce que nous avons appliqué avec la Logan. Cela étant, construire une voiture ayant trois fois moins de pièces que les autres n’allait pas de soi sur le plan technique, et il nous a fallu accomplir de gros efforts pour y arriver.
Pour le reste, le design a fait une voiture la plus belle possible, compte tenu de nos contraintes de prix. Il ne pouvait être question de faire des courbes trop raffinées ou trop de vitres, par exemple, parce que le coût était trop important. Pour eux aussi, ce fut un défi passionnant.
- Comment s’est passé le lancement de la voiture ?
Lorsque la voiture a été prête, nous avons connu une succession de bonnes surprises. D’abord, la première maquette issue du design avait l’air d’une vraie voiture moderne, qui respirait de surcroît une certaine robustesse germanique. C’était important, car il ne fallait pas seulement que la voiture soit fiable, mais qu’elle porte l’idée de fiabilité de façon visible. Les premiers essais ont ensuite montré qu’il s’agissait effectivement d’une bonne voiture, confortable et tenant bien la route. Quant au prix, nous n’avons dérivé à la fin que d’une centaine d’euros.
Le débat a alors surgi de savoir s’il fallait la vendre sous la marque Renault. J’avais dit non, parce que si nous la vendions sous cette marque, elle nous coûterait trois mille ou quatre mille euros de plus. La marque Dacia nous donnait à cet égard une liberté extraordinaire. J’avais ajouté que nous ne la vendrions pas en Europe occidentale pour la même raison. Si nous devions la mettre dans une concession Renault, à nouveau il faudrait qu’elle ait tous les attributs d’une Renault.
Une fois que nous avons eu notre voiture, il s’est agi de l’annoncer. Un lancement de voiture consiste toujours en une présentation statique à la presse suivie d’essais. Si j’étais pour ma part toujours dans ma logique de provocation initiale d’une voiture à cinq mille euros, la maison était extrêmement anxieuse, et les Cassandres ne manquaient pas pour dire que le lancement serait un désastre. J’ai pris la décision de faire la présentation à la presse au Technocentre de Guyancourt. Cet univers de haute technologie, où travaillent dix mille ingénieurs et techniciens, est ce que Renault a de plus moderne. Je voulais montrer que toute la force technologique de Renault avait été investie dans ce projet et qu’il ne s’agissait nullement d’une voiture au rabais. Nous disions de la sorte que nous avions mis toute la puissance intellectuelle de Renault dans cette voiture. Comme il s’agissait de la vendre dans des pays émergents ou en développement, nous avons fait venir des journalistes de tous ces pays au Technocentre, qui est un site très impressionnant. Il s’agit du plus gros ensemble de bâtiments jamais construit en France, et il a moins de dix ans.
La deuxième décision a été de faire les essais en Turquie. Nous avons choisi la Cappadoce, un endroit non seulement séduisant, mais qui nous évitait de mettre la Logan sur des routes où elle se serait retrouvée au milieu d’automobiles ultramodernes, face auxquelles elle aurait eu plus de mal à affirmer sa modernité propre.
L’accueil presse a été un succès instantané, qui a surpris toute la maison. Les journalistes l’ont tout de suite reconnue comme un objet extraordinaire, alors même que nos gens étaient mal à l’aise, à commencer par ceux de notre service de communication, qui nous disaient qu’ils ne savaient pas comment faire venir les journalistes. Non seulement toute la presse est venue, mais tout le monde était emballé. J’en ai été surpris moi-même. Car si je savais que la Logan était une bonne voiture, qu’elle répondait parfaitement au besoin, et si j’étais convaincu qu’elle marcherait bien en Roumanie, en Europe centrale, en Russie, etc., je n’avais pas du tout anticipé à quel point elle rencontrerait un mouvement de société en Occident même. Au fond, l’idée qui plaisait était le retour au rationnel qu’elle incarnait, à l’image de certains produits de supermarché, dits de hard-discount, pour lesquels on considère que la marque est quelque chose d’aliénant, presque une servitude. L’idée qu’un objet sans marque était soudain comme désaliéné consacrait en quelque sorte, dans le cas de l’automobile, le fait qu’il s’agissait d’un objet de liberté. Finalement, nous avons fait le 20 heures de TF1, ce qui n’était pas du tout prévu, ni même rêvé.
Les gens des médias français avaient compris quelque chose que nous n’avions pas bien analysé, parce qu’ils n’étaient pas prisonniers de notre vision interne de l’automobile. En ce printemps de 2004, ils y ont tout de suite vu comme un phénomène de société. Je dois à la vérité de dire qu’aucun autre pays d’Europe occidentale où nous avons présenté la Logan n’a réagi de la sorte. Je crois que nous avons bénéficié chez nous de la conjonction de plusieurs facteurs. Il y a eu, d’une part, le fait que le hard-discount est une invention française et, d’autre part, le fait qu’il s’agissait quand même de Renault. Et quand Renault crée un objet, toute la France le regarde.
- Où en est aujourd’hui ce projet ? Vous aviez d’abord réservé la Logan au marché des pays émergents, puis, en 2005, vous avez décidé de sortir cette voiture en Europe occidentale, mais à un prix sensiblement plus élevé. Pourquoi un tel revirement ?
L’étape suivante a été le lancement commercial en Roumanie. En règle générale, les concessions automobiles sont des endroits assez déserts. C’était vrai en Roumanie comme ailleurs. Mais lorsque nous y avons sorti la voiture, il y a eu des queues devant les concessions, comme au cinéma, et les Logan se sont mises à partir comme des petits pains. La décision toute naturelle qui découlait de cet accueil imprévu était d’annoncer que la voiture sortirait en France, ce que j’ai fait en septembre de la même année, au cours d’une émission de télévision. Nous constatons aujourd’hui que la Logan s’y vend beaucoup mieux que prévu, alors qu’elle est commercialisée sous la marque Dacia, avec certes écrit en dessous « By Renault », dans le réseau Renault. Outre la Roumanie, nous la fabriquons et la commercialisons aujourd’hui en Colombie, au Maroc et en Russie. Nous avons aussi signé un contrat pour la fabriquer à partir de 2006 en coopération avec les Iraniens, qui étaient venus au Technocentre et avaient exactement les mêmes problèmes que les Roumains avec leurs voitures, conçues il y a des dizaines d’années et consommant treize litres au cent. Les Indiens aussi sont venus, et nous allons la fabriquer en Inde. Nous sommes enfin bien partis pour la fabriquer au Brésil, au Mexique et, je l’espère, en Chine. Comme la Logan a aussi très bien démarré en Europe occidentale, notre voiture « moderne, fiable et à cinq mille euros » est ainsi devenue une voiture mondiale.
Aujourd’hui, la Logan constitue en outre une vraie famille d’automobiles, puisqu’elle se présente sous différentes formes : break, fourgonnette, pick-up et bi-corps, c’est-à-dire sans coffre, à la manière de la Clio. Toutes sont réalisées à partir de la même plate-forme, avec les mêmes moteurs et la même structure de base.
Pendant les années de mise au point de la Logan, toutes les études économiques montraient évidemment que c’était idiot et que nous allions perdre de l’argent. Comme j’avais le privilège, en tant que président de Renault, de pouvoir m’asseoir sur les études économiques, je me suis assis dessus. Aujourd’hui, c’est une voiture qui gagne de l’argent. Si les choses se passent raisonnablement, nous en vendrons huit cent mille par an en 2010, et un million deux cent mille si elles se passent bien. Tout dépend de pays tels que l’Iran, à la situation toujours un peu compliquée et qui représente pour la Logan un marché de trois cent mille voitures par an, ou la Chine, dont nous ne savons pas encore quand nous pourrons y pénétrer. Quoi qu’il en soit, la Logan représentera entre le tiers et le quart des voitures vendues par Renault en 2010. Il s’agit donc d’une voiture de première importance pour l’entreprise. Je crois qu’elle a marché parce que, quelque part, elle n’est pas radicalement contraire à l’histoire de Renault. On y retrouve un fond très ancien, incarné par la 4 CV, qui correspond à l’idée que se fait Renault de la voiture populaire et qui lui a permis de retrouver ses racines à travers ce projet.
- N’est-ce pas tout de même un peu la « voiture du pauvre » ?
Bien sûr, l’idée de proposer une voiture que l’on pourrait appeler « tiers-mondiste » peut avoir quelque chose de dévalorisant. Il est vrai aussi qu’il n’y a pas le même contenu technologique ni le même raffinement dans une voiture destinée à rouler sur une route roumaine ou russe que dans une voiture destinée à rouler à 180 km/h sur une autoroute allemande, par exemple. Cependant, rien n’empêche que cette voiture réponde à l’attente d’une personne et soit aussi pour elle un objet de fierté. Aujourd’hui, tout le monde sait, par l’intermédiaire de la télévision, à quoi ressemble une voiture moderne. Devoir investir trois ans d’économie dans une voiture conçue il y a quarante ans est devenu insupportable. On peut toujours faire rêver un Roumain ou un Russe devant une voiture à vingt mille euros, mais il ne pourra pas l’acheter. Il fallait donc trouver un compromis qui soit beau, utile et pas cher, et nous avons réussi à le faire.