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Affaire d'espionnage chez Renault: retour sur l'enquête

Dans l'affaire d'espionnage industriel dont aurait été victime Renault, il se pourrait bien qu'il ne s'agisse ni plus ni moins que d'un simple règlement de compte. Voici la rétrospective de cette affaire rocambolesque issue de nos différentes brèves.
Par le 28/02/2011 Dernière mise à jour le 29/04/2024

10 Janvier 2011: les 3 cadres accusés mis à pied

Afin de clarifier la situation sur la mise à pied de 3 cadres dirigeants de Renault, Christian Husson, Directeur Juridique et Déontologue de Renault, a tenu à s'expliquer.

« La décision de mise à pied de 3 cadres dirigeants de Renault a été prise à l’issue d’une investigation déclenchée par le comité de déontologie du Groupe Renault. Cette procédure est parfaitement normée, très rigoureuse et garantit le respect des principes éthiques édictés par notre Groupe.

Cette enquête, qui a duré plusieurs mois, nous a permis d’identifier un faisceau d’éléments convergents attestant que les agissements de ces trois collaborateurs étaient contraires à l'éthique de Renault, et mettaient en risque consciemment et délibérément des actifs de l'entreprise.

Pour Renault, il s’agit de faits très graves concernant des personnes en position particulièrement stratégiques dans l'entreprise. Ils justifient une décision conservatoire de cette nature dont l'objet premier est de protéger, sans attendre, les actifs stratégiques, intellectuels et technologiques de notre entreprise.
Renault entend respecter et préserver l'identité des trois cadres concernés par ces mesures et ceci conformément aux dispositions du Code du Travail.

La procédure avance. Sur un plan juridique, nous sommes en train d'étudier toutes les options qui conduiront inévitablement à un dépôt de plainte. Mais à ce stade, Renault ne souhaite pas faire d’avantage de commentaires.»

17 Janvier 2011: Renault porte plainte contre X

Renault a porté plainte contre X pour des faits constitutifs d’espionnage industriel, de corruption, d’abus de confiance, de vol et recel, commis en bande organisée. Les accusés de leur côté rejettent en bloc les accusations.

Conformément à ce qui avait été annoncé par Renault, l’entreprise a porté plainte contre X le 13 janvier pour des faits constitutifs d’espionnage industriel, de corruption, d’abus de confiance, de vol et recel, commis en bande organisée. Cette plainte fait suite à la découverte d’agissements graves, portant préjudice à l’entreprise, en particulier sur ses actifs stratégiques, technologiques et intellectuels.
Cette plainte a été déposée entre les mains du Procureur de la République de Paris, qui peut désormais confier aux services compétents le soin de réaliser les investigations
nécessaires.

Cette affaire relève maintenant de la justice. Afin de permettre à la procédure judiciaire de se dérouler dans un climat de sérénité, Renault ne participera d’aucune surenchères polémiques et réservera exclusivement les éléments en sa possession aux services compétents chargés de l’enquête.

Les 3 cadres accusés rejettent en bloc les accusations

Deux des trois cadres accusés, Bertrand Rochette et Michel Balthazard ont reçu un courrier les informant qu'ils sont licenciés par le groupe. Des licenciements pour "faute grave", qui les privent d'indemnités.

Le troisième, Matthieu Tenenbaum, l'un des responsables du programme électrique de Renault que nous avions rencontrés il y a quelques mois, est le dernier des 3 cadres mis à pied par Renault à n'avoir pas encore été officiellement informé de ce qu'on lui reprochait.

Son avocat a toutefois indiqué que son client était accusé sur "la base d'une lettre anonyme".

Pour sa défense, Bertrand Rochette souhaite attaquer Renault pour diffamation non publique.
Son avocat a indiqué qu'aucune preuve ne permet d'accuser ainsi son client.
Michel Balthzard, lui, contestera certainement son licenciement devant les prud'hommes. "Dans sa lettre, le constructeur indique que mon client a reçu des sommes d'argent de sources étrangères. L'entreprise n'avance aucune preuve réelle et sérieuse. Elle a seulement une conviction. Autrement dit Renault fait de la déduction. Je trouve cela très léger.", indique Me Thouvenin, son avocat, au Figaro.fr. Il pourrait également porter l'affaire en justice pour diffamation.

27 Janvier 2011: La DCRI mène sa contre-enquête

Alors que les enquêteurs de la DCRI, le service de contre-espionnage français, n'ont toujours pas de preuves concernant les accusations portées par Renault sur ses 3 cadres licenciés pour faute grave, l'enquête se poursuit.

Après avoir perquisitionné au sein du Technocentre, le centre de recherche de Renault dans les Yvelines, renommé depuis peu Le Losange,  les services de renseignement français vont désormais auditionner les trois cadres (qui continue de nier fermement les faits) mis en cause par Renault.

Les enquêteurs ont déjà auditionné quatre salariés de Renault, dont Dominique Gevrey et Marc Tixador, qui sont les anciens policiers chargés de l'enquête interne cet été. Les prochains entendus (comme témoins seulement) seront les trois cadres licenciés.

Il y a quelques jours, la DCRI avait déjà récupéré leurs ordinateurs professionnels ce qui n'avait pas permis de trouver la moindre preuve des accusations portées contre eux.

Février 2011: les accusés innocents ?

Cette hypothèse apparaît de plus en plus crédible pour les enquêteurs et l’entreprise. Outre cette personne proche des 3 cadres accusés, et licenciées, mais qui pourraient donc bien être innocents, seraient également concernés une douzaine de personnes.
« Des gens suffisamment proches pour avoir une connaissance précise de l’agenda de Balthazard et des rencontres qu’il a faites », indique une source proche du dossier selon le Parisien.

Désormais, l'objectif est d'identifier l'auteur des trois lettres anonymes, dont la dernière, a clairement nommée Michel Balthazard et Bob Bell (ex dirigeant du Renault F1 Team, parti en 2010). « En mai de cette année 2010, j’ai vu Balthazard Michel négocier un pot-de-vin en prétendant que, si Bob Bell de la F 1 en profitait, lui aussi voulait en profiter et alimenter son compte en banque », selon le corbeau auteur de la lettre.

Matthieu Tenenbaum, chargé du "programme véhicule électrique" était également visé par ces accusations « Au cours d’une autre conversation, il (NDLR : Michel Balthazard) a parlé du petit jeune qui a vite compris comment ça marche pour remplir son compte en banque. »
Le corbeau de la lettre, qui ne disposait pourtant d'aucune preuve provoquait même Renault, en indiquant que « Sans action de vérification de votre part, je n’hésiterais pas dans quelques semaines à envoyer ce courrier à la presse spécialisée. ». Même si cela n'aurait au final rien changé suite aux fuites dans cette affaire, Renault a préféré lancé une enquête, initialement secrète.
Pourtant, l'affaire n'a pas fini de faire du bruit...

D.Gevrey mis en éxamen

Une nouvelle étape a été franchie ce week end, avec le déferrement de l'un des responsables de la sécurité du constructeur et l'ouverture d'une enquête, pour "escroquerie en bande organisée".

L'innocence des trois cadres inculpés, licenciés, puis « blacklistés » dans toute l'industrie ne fait désormais plus aucun doute. Désormais, l'enquête s'oriente vers une escroquerie d'envergure.

Ainsi, vendredi, les enquêteurs de la DCRI arrêtent Dominique Gevrey, (ancien militaire à la Direction de la protection et de la sécurité de la défense) l'un des responsables de la sécurité à l'origine des accusations d'espionnage. Il était moins une, car celui-ci s'apprêtait à s'envoler pour la Guinée et ce, « sans aucune raison professionnelle » dixit l'avocat de Renault.

Avec deux autres responsables de la sécurité de Renault, en la personne de Marc Tixador, ancien policier de la brigade financière de Versailles, et de Rémi Pagnié leur responsable, ancien de la DGSE et proche... de C. Ghosn.

Dominique Gevrey à été présenté à un juge d'instruction ce dimanche après-midi et va probablement être placé sous mandat de dépôt, c'est à dire, qu'il devrait passer sa première nuit en prison, le parquet ayant requis son placement en détention. Rémi Pagnié et Marc Tixador, ont, quant à eux, été relâchés sans charge retenue.

A la recherche d'une rémunération

«On s'abstient de faire tout commentaire pour ne pas troubler le cours de la justice. Nous communiquerons de façon globale et complète après le parquet, probablement lundi après-midi», a-indiqué l'avocat de Renault. Mais d'après de nombreuses sources, Dominique Gevrey aurait été proche d'une source rémunérée pour un montant de plusieurs centaines de milliers d'euros, dont il a toujours refusé de révélé son nom. C 'est cette même source qui aurait accusée les trois cadres et dénoncée des comptes bancaires destinés à recevoir les fonds versés pour la vente d'informations confidentielles.

5 Avril 2011, Marc Tixador s'explique sur l'affaire d'espionnage

Dans une interview publiée par Le Parisien, Marc Tixador, responsable de la lutte contre les fraudes chez Renault depuis 10 ans, et collègue du principal inculpé Dominique Gevrey, revient sur cette lourde affaire dont il fait aujourd'hui les frais.

Comment a démarré « l’affaire Renault » ?
Sous la forme d’une lettre anonyme, envoyée le 17 août dernier, en quatre exemplaires, à plusieurs dirigeants de l’entreprise : Rémi Pagnie, Jean-Yves Coudriou (NDLR : directeur des cadres), Odile Desforges (NDLR : directeur général adjoint) et Laurence Dors (NDLR : secrétaire général du groupe). Cette lettre mettait notamment en cause Michel Balthazard.

Que savez-vous de cette source ?
Rien. Il me paraissait normal que Dominique Gevrey, en bon professionnel, ne dévoile pas le nom de son informateur. Lorsqu’il échangeait des coups de fil avec lui, il s’isolait. Cela ne nous a jamais choqués. Quand il a affirmé que sa source avait identifié un compte de Michel Balthazard alimenté par une société-écran, on a rédigé notre premier « blanc » (NDLR : rapport de synthèse).

A qui remettiez-vous ces blancs ?
A Rémi Pagnie, avec lequel nous les validions. Il se chargeait ensuite d’en informer sa propre hiérarchie ainsi que tous les destinataires de la lettre anonyme. L’enquête a très vite progressé. [...]

D’importants moyens ont été débloqués pour payer cet informateur. Le saviez-vous ?
J’ai vu passer les factures. Je savais qu’un montage financier avait été mis en place pour rémunérer cet informateur discrètement et en liquide. Nous avions tous le sentiment qu’il s’agissait d’une grosse affaire et qu’au plus haut niveau de l’entreprise chacun adhérait à notre manière de faire.

Carlos Ghosn était-il personnellement au courant ?
Sans doute Carlos Ghosn a-t-il été informé début novembre. La source venait alors de nous indiquer que Toshiyuki Shiga, le directeur général de Nissan, bénéficiait lui aussi d’un compte suspect à l’étranger.

Comment a réagi Carlos Ghosn en apprenant la mise en cause du numéro 2 de Nissan ?
Je ne l’ai jamais vu personnellement. Mais Rémi Pagnie m’a rapporté que Carlos Ghosn souhaitait le plus grand secret autour de cette affaire. Il ne fallait en parler à personne, pas même aux destinataires de la lettre anonyme.

Ni même, plus tard, aux enquêteurs de la DCRI ?
Exact. Quand les policiers de la DCRI ont été chargés d’enquêter sur des soupçons d’espionnage, nous avions la consigne de ne pas leur parler de ce volet japonais.

Pourquoi la DCRI a-t-elle été saisie si tard de cette affaire ?
Je l’ignore. Quand j’ai réalisé, début décembre, que les trois cadres mis en cause allaient être licenciés, j’ai tiré la sonnette d’alarme. J’ai rappelé à Rémi Pagnie et Christian Husson que nos éléments étaient le fruit d’un travail de renseignement, qu’il ne s’agissait pas de preuves et qu’il valait mieux saisir la DCRI pour qu’elle les vérifie. Ils ne m’ont pas entendu.

A quel moment avez-vous réalisé que l’affaire ne tenait pas debout ?
Très tard. J’y ai cru jusqu’à ce que les policiers m’indiquent, en garde à vue, que la source de Gevrey était bidon et que les comptes n’existaient pas.

Et maintenant ?
Je suis effondré. J’ai du mal à croire que Dominique Gevrey a pu monter une telle affaire tout seul. Et je suis très blessé par l’attitude de Renault à mon égard. Dans cette affaire, j’ai peut-être été candide mais j’ai toujours été loyal envers mon employeur... Et me voilà convoqué le 6 avril pour un entretien préalable à mon licenciement.

11 Avril 2011: la réorganisation annoncée

Se basant sur les conclusions du rapport d’audit, le Président a informé le Conseil d’administration des décisions concernant les modifications de l’organisation de l’entreprise.

Le service de sécurité sera bien sur le premier touché. Rémi Pagnie, directeur de la protection et sécurité du Groupe ainsi que ses deux collaborateurs, Dominique Gevrey et Marc Tixador, seront mises en œuvre les procédures en vue de leur départ de l’entreprise.

Jean-Yves Coudriou, directeur des cadres dirigeants et Christian Husson, directeur juridique sont relevés de leurs fonctions dans l’attente des discussions quant à leur avenir, tout comme Madame Laurence Dors, Secrétaire Générale, en raison de l’évolution envisagée du Secrétariat Général.

Concernant Patrick Pélata, directeur général délégué aux opérations de Renault, ayant pris connaissance du rapport d’audit a fait la demande d'être relevé de ses fonctions. Refusée dans un premier temps par C.Ghosn, puis acceptée à l'issue du conseil,  il continuera à gérer les affaires opérationnelles courantes jusqu’à son départ de Renault.

Il n'aura cependant pas de soucis à se faire, puisqu'il se verra proposer d’autres fonctions au sein du Groupe constitué par l’Alliance Renault-Nissan. Carlos Ghosn souligne que les compétences de Patrick Pélata restent précieuses et constituent un atout pour le Groupe.

En remplacement de ces départs, Madame Mouna Sepehri est nommée directeur délégué à la présidence de Renault et supervisera les fonctions aujourd’hui rattachées au secrétariat général ainsi que la direction juridique. Par ailleurs, elle mènera une réflexion sur les enseignements à tirer de cette crise en matière de communication. Marie-Françoise Damesin, directrice des ressources humaines, entre au Comité Exécutif du Groupe Renault.

Par ailleurs, il est envisagé, conformément aux recommandations du Comité des comptes et de l’audit :

- de réformer le dispositif d’éthique et de la gestion des risques en profondeur avec notamment la nomination prochaine, auprès du Président, d’un directeur de l’éthique qui présidera le Comité d’éthique se substituant à l’actuel Compliance Committee

- de transformer le Comité des comptes et de l’audit du Conseil d’administration en Comité de l’audit des risques et de l’éthique. Sa mission sera étendue à la supervision du Comité d’éthique, en liaison avec le Président du Comité des nominations et de la gouvernance.

- de créer une direction de l’audit et de la maîtrise des risques regroupant l’ensemble des entités qui participent au traitement du risque.

30 Avril 2011: le préjudice des 3 cadres accusés réparé

Le Conseil d’administration a pris connaissance des conclusions des travaux du Professeur Nicolas Molfessis, Agrégé des Facultés de droit et Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne, et, des recommandations de Monsieur Jean-Claude Magendie, ancien Premier Président de la Cour d’Appel de Paris, sur l’évaluation du préjudice moral.

Ces missions ont été conduites par la direction de l’audit interne et par le cabinet Bearing Point chez Renault, du 14 mars au 8 avril 2011.

Les deux audits ont démontré de façon précise l’enchaînement des faits ayant abouti à la mise en cause injustifiée de trois cadres de Renault. Les audits ont ainsi mis à jour la chaîne des défaillances et dysfonctionnements de l’entreprise notamment en ce qui concerne le service de sécurité.

Carlos Ghosn a renouvelé au Conseil d’administration ses vifs regrets quant à ces dysfonctionnements et sa ferme volonté d’en tirer toutes les conséquences pour la bonne marche de l’entreprise. Il a souhaité d’abord faire le point au Conseil de l’avancement des négociations avec les cadres injustement licenciés concernant la réparation du préjudice subi.

Renault est parvenu à un accord de principe avec Messieurs Michel Balthazard, Matthieu Tenenbaum et Bertrand Rochette. Comme convenu lors du Conseil d’administration du 14 mars 2011, chaque accord a été présenté en détail au Conseil. Le Conseil d’administration du 11 avril se félicite de l’issue positive des négociations dont il approuve, à l’unanimité, le règlement final.

Par ailleurs, Renault est parvenu à un accord avec Monsieur Philippe Clogenson concernant le préjudice qu’il a subi à l’occasion de son licenciement en 2009. Ce dernier sera de retour chez Renault à compter du 2 mai 2011 en qualité de directeur du business development de Renault Consulting.

Michel Balthazard et Bertrand Rochette ont décidé de ne pas réintégrer l'entreprise, tandis que Matthieu Tenenbaum a accepté l’offre de réintégration de Renault et rejoindra la Direction Stratégie et Plan Groupe à compter du 2 mai 2011.

Janvier 2024: le principal accusé condamné

Il faudra attendre jusqu'en mars 2024 pour que le procès s'ouvre enfin. Alors que les trois cadres ont été innocenté depuis longtemps déjà, en revanche, celui par qui l'affaire est arrivée, Dominique Gevrey, ancien directeur de la sécurité de Renault,  a été condamné à 1 an sous bracelet électronique ainsi que 40 000 € d'amende et 318 000 € à rembourser au constructeur.

Les deux autres prévenus ont été condamnés à du sursis uniquement.

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