Alpine A110: une légende qui s’est construite en rallye
A la sortie de la guerre, Renault commercialise sa petite 4CV. A la base, ce modèle voulu économique est bien loin d’un modèle sportif. Mais de nombreux pilotes amateurs en mal de sensations, mais disposant de peu de budget vont faire appel à elle pour aller piloter sur les petites routes montagneuses.
Ainsi, en 1948, un certain Jean Rédélé, un jeune concessionnaire Renault, remporte le Mont Ventoux dans sa catégorie ainsi que les Mille Miles au volant d’une 4CV. De nombreuses autre victoires suivront comme le rallye Liège-Rome-Liège en 1950 toujours grâce à Jean Rédélé et à son ami Pons.
En 1952, les deux compères engagent une nouvelle fois leur petite 4CV en version “1063” dans les Milles Miglia. La 4CV semble bien modeste à coté des innombrables Ferrari qui ont pris le départ. Mais dans sa catégorie, la 4CV parvient à maintenir les assauts de ses rivales italiennes.
Contre vents et marées, Jean Rédélé et Louis Pons se battent vaillamment et filent sur les routes de Toscane. Ils enchaînent les cols et les collines avec une grande agilité. Le petit moteur de 750 cm³ poussé à plus de 40 ch soit 20 de plus qu'à l'origine, ne faiblit pas. La 4CV arrive à Brescia auréolée d'une très belle victoire dans la catégorie "Sport série 750 cm³”. Rédélé et Pons récidivent ces exploits dans ce rallye en 1953 et 1954 et remportent également le critérium des Alpes.
Pourtant, au volant de leur 1063, les deux amis se sentent frustrés. Bien qu’ayant doublé la puissance du moteur et créé une boite de vitesse à 5 rapports, la voiture ne parvient pas à dépasser les 145 km/h.Ce manque de vitesse de pointe vient du manque d'aérodynamisme de la voiture.
Ils décident alors de créer leur propre voiture, basée sur la 4CV. La première Alpine vient de naître. Ils imaginent un petit coupé profilé et performant, qu’ils font dessiner par un Italien: Michelotti et qui sera fabriquée en Italie chez Allemano.
Baptisé "Rédélé Spécial", ce coupé sillonne avec succès les rallyes. Dès 1955, la nouvelle marque Alpine produit une petite série de sa première vraie voiture, la A106.
Alpine A106
En option, elle peut recevoir le moteur "Type 1063" de 45 ch., une boite de vitesse spéciale à 5 rapports, et des suspensions spéciales surbaissées. Tout cela permet d'atteindre les 155 km/h, une vitesse inimaginable à l'époque (il y a plus de 40 ans) pour un 750 cm³.
Les nombreuses évolutions de la gamme Renault, et des moteurs, vont permettre à Alpine qui continue de se fournir chez Renault, de proposer des modèles de plus en plus puissants au fil des années.
Jean Rédélé passe de pilote à constructeur, les Alpine sont désormais pilotées par une série d’acrobates devenus célèbres, tels que l’équipage Fret-Monraisse qui remporte le tour de Corse en 1960 au volant d’une A108.
L’arrivée de l’A110 va tout changer pour Alpine.
Si le championnat du monde n'existe pas encore, Alpine trouve tout de même une voie pour acquérir ses lettres de noblesse. En 1962, Alpine propose à son catalogue un modèle qui va propulser la petite marque au sommet : l’A110. Grâce à l’arrivée de nouveaux moteurs plus puissants au sein de la gamme Renault, Alpine dispose des armes pour se battre au classement général, et non dans une petite catégorie. Alpine vise désormais la victoire au général.
La marque qui commercialise des voitures de série n’a pas oublié son ADN de sportive. Dès sa commercialisation, le catalogue de l’A110, alors propulsée par un moteur de 956 cm3 issu de la R8 mais poussé à 44ch. propose déjà des options spécifiques pour le rallye telles qu’une direction directe, une boite à 5 vitesses, et d’autres options dédiées à la course.
Dès 1962, l’A110 remporte ses premiers succès: Coupe des Alpes, Tour de France Automobile, Critérium alpin,... L’année suivante, l’Alpine remporte sa première course au général, avec le rallye des Lions. En 1964, la berlinette s’équipe du 1100cm3 de 58ch. de la R8 Major permettant d’obtenir enfin de solides performances, lui permettant de glaner bon nombre de victoires au général.
Ainsi, dès 1966, elle remporte de nombreux succès grâce à de jeunes pilotes ayant pour noms Thérier, Nicolas, Darniche, Andruet, Piot et Larrousse. La Berlinette, désormais motorisée par un 1300 cm3 de 88ch., puis 1500 (1967) et enfin le 1600 cm3 de la R16 TS (92ch. en 1968 puis 122ch. en 1969), devient la voiture sportive française qui va faire rêver toute une génération, d'autant plus que son prix élevé, sa conduite très exigeante, et son habitacle exigu n'en fait pas la voiture de tout le monde.
Alpine A110 au Critérium des Cévennes en 1966
Pour Alpine, les victoires s’enchaînent. Jean Claude Andruet remporte en 1968 le championnat de France, tandis qu’il récidive en 1970 lors du championnat de France et championnat d’Europe, au volant cette fois-ci d’une Alpine A110 1600. L'année suivante, Alpine monopolise le podium du Monte-Carlo et remporte, grâce à Jean Pierre Nicolas, le titre. Tout cela sans oublier les victoires dans des championnats européens tels que le championnat d’Espagne remporté par Bernard Tramont en 1967 et 1968 et par Jean Vinatier en 1969.
Au début des années 70, l’A110 se dote de son plus gros moteur, un 1800 cm3 préparé par Marc Mignotet, toujours issu de la R16 et extrapolé du 1600. Les victoires et les coups de maître s’enchaînent.
Alpine championne du monde des rallye en 1973
Passée avec succès des victoires dans une petite catégorie, aux victoires au général, puis à de nombreux championnats, Alpine veut viser plus haut. Cela tombe bien, car en 1973, le premier championnat du monde des rallyes s’ouvre. Alpine inscrit son A110 dans 9 des 13 épreuves, dont celle de la manche inaugurale, Monté-Carlo, qui compte 270 concurrents.
Rallye du Portugal 1973
Dès son arrivée dans la principauté, l'équipe Dieppoise domine la situation. La neige est là, le soleil aussi. Tous ces facteurs démontrent les valeurs de l'A110, passée désormais à un bloc préparé par Mignotet de 1 800 cm3 qui développe 165ch. Ses plus grandes qualités sont bien sur l'agilité de la voiture grâce à sa légèreté sur la neige, et sa rapidité dans les virages. Les Berlinette bleues relèguent les concurrents aux places d'honneur.
A l'arrivée, c'est l'équipage Andruet-"Biche" qui remporte l'épreuve. Deux autres Berlinettes 1 800 suivent. Seule une Ford Escort RS parvient à se glisser en quatrième position juste devant deux autres Berlinettes.
Ceci dit, cette domination n’est pas vraiment une surprise. L’A110 est à l’aise à Monaco, personne ne l’ignore. D’ailleurs dès 1971, Alpine avait déjà réalisé le triplé, lui permettant notamment de remporter le Championnat International des Rallyes pour Marques en fin d’année.
Anderson au Monte-Carlo en 1971
Suivront ensuite 7 autres victoires au Portugal, Maroc, Acropole, Autriche, San Rémo ainsi que le Tour de Corse où Alpine monopolise le podium. L’équipe décroche haut la main le premier titre mis en jeu de Champion du Monde des Rallyes.
L’A110 en fin règne
Pourtant, l’A110 est désormais en fin de vie. Sa remplaçante, l’A310 prend sa succession. Malheureusement, elle ne saura pas se montrer aussi digne que son aînée. Pire, l'A310 ne sera finalement que peu performante face à une concurrence plus rude que jamais. Son meilleur résultat sera seulement une 3ème place au Tour de Corse 1974.
L’A110 1800 malgré son âge avancé continuera d’obtenir des places d’honneur sur le podium en 1974 et 1975, et de faire mieux que sa remplaçante. La fin de carrière de l’A110 coïncide également avec l’arrivée d’une jeune pilote qui fera rapidement parler d’elle, Michèle Mouton, qui prend notamment la 2nde place au général du Critérium du Rouergue sur son Alpine, mais aussi d’un certain Jean Ragnotti.
Une ultime A110, est construite pour le Tour de France Automobile 1975. Celle qui n’est qu’un prototype dispose d’une poupe spécifique permettant de caser un moteur inédit préparé par Bernard Dudot: un 1800cm3 à 16 soupapes avec double arbre à cames.
Près de 50 ans plus tard, l'Alpine A110 reste pour beaucoup LA sportive française de référence. Fier de son patrimoine historique, Renault n'hésite d'ailleurs pas à la mettre en avant, notamment lors des rallyes historiques de Monte-Carlo. Alpine s'est également réengagée en endurance avec l'équipe Signatech en 2013.