7. Renault sur tous les fronts (1960 - 1971)
Après l'échec de la Dauphine au pays de l'Oncle Sam, qui avait pourtant superbement commencée, on décide en haut lieu de n pas reproduire les mêmes erreurs: absence de réseau, qualité médiocre,..
S'allier avec un constructeur local capable de donner les indications nécessaires pour la mise à niveau des véhicules serait une solution. Renault assemble déjà dans son usine Belge de Haren la Rambler d'AMC -American Motors Corporation- commercialisée sur notre continent sous le nom de Renault Rambler. Alors pourquoi ne pas aller plus loin ?
En 1961, la Régie signe une lettre d'intention avec AMC. Cette lettre porte sur une éventuelle distribution de modèles Renault aux États Unis et au Canada, voire une usine de montage commune dans ce pays. Finalement AMC refusera la future R8 et l'intention ne sera pas concrétisée. Entre temps, l'image de Renault s'est énormément détériorée et il faudra attendre 1979 pour revoir un rapprochement entre les deux constructeurs, qui se soldera pourtant moins de 10 ans plus tard par un énorme flop.
Renault Rambler
Les alliances sont déjà d'actualité
En Europe, Pierre Dreyfus redoute les rachats de constructeurs Européens par les Américains, comme c'est le cas de Chrysler avec Simca un peu plus tard. Face à ces grands groupes, la Régie ne pourrait lutter. Il est convaincu que les constructeurs européens doivent faire front ensemble.
Dans le domaine des poids-lourds et utilitaires, ce regroupement s'est déjà formé avec la création de Saviem suite à la fusion de Renault, Latil et Somua en 1955. Du côté de la branche automobile des pourparlers ont lieu en coulisse. Pendant un certain temps, un rapprochement avec Volkswagen parait possible, les patrons des deux marques étant ouverts à un accord. Mais, l'opposition interne à Volkswagen rencontrée à Wolfsfurg met fin aux négociations.
En 1958, Renault passe des accords avec Alfa Romeo, permettant de monter des Dauphine puis des R4 dès 1962. Pourtant, Fiat propriétaire de la marque sportive italienne s'y opposera.
Ainsi, tous les accords précédemment passés sont rompus et c'est en fin de compte avec Peugeot qui a également rompu avec Citroën, que la Régie crée une alliance en 1966. Pendant ce temps, Pierre Dreyfus aimerait beaucoup s'implanter en URSS, vaste marché encore inexploité.
Lors du voyage en France qu'effectue le premier ministre de Russie Nina Khrouchtcheva en Mars 1960, le PDG de Renault lui offre une Caravelle blanche à sellerie de cuir rouge. Invité à son tour à se rendre en Russie, Pierre Dreyfus espère une collaboration pour obtenir l'autorisation de la construction d'une usine. Mais il devra patienter jusqu'en Octobre 1966, et il ne s'agira pas de produire des Renault en URSS car entre temps, les soviétiques ont préféré Fiat ( le groupe pétrolier Italien Mattei achetait en effet une grande partie de son pétrole en URSS).
L'accord que signe Pierre Dreyfus porte seulement sur l'ingénierie pour lancer la fabrication d'une "petite" Moskvitch. Dans un premier temps, il faut équiper l'usine de d'Oufa qui produira les moteurs, puis il faut moderniser l'usine de montage MZMA à Moscou, et équiper une nouvelle installation à Ijvesk, dans la République autonome des Oudmourtes.
Renault qui est le fournisseur général mais aussi le maître d'œuvre verra finalement son contrat atteindre 300 000 000 Frs soit le triple du montant initial.
Renault réorganise sa gamme
Avant guerre la politique de Renault était d'offrir un maximum de modèles afin de couvrir un maximum de clients. Ainsi, Renault proposait auparavant 7 à 8 modèles. Mais, après guerre, les problèmes financiers des industries et des clients pousseront Renault, comme les autres d'ailleurs, à ne proposer plus qu'un seul produit dominant, la petite voiture, rôle qui sera assuré par la petite 4CV.
Pierre Lefaucheux, président de la Régie à l'époque songe très vite à donner une grande sœur à la 4CV. La Frégate sera certes un échec mais l'idée de faire autre chose que la 4CV est là. Son successeur continue dans cette voie.
Mais, avant tout, il faut changer la 4CV, qui a déjà 16 ans! P.Dreyfus, veut une voiture pas chère et multiusage. C'est ainsi que sera étudiée la R4. Grâce à elle, la traction avant apparue sur l'Estafette se généralise. Le 3 Août 1961, la première R4 sort des chaînes de l'île Seguin. Deux cent voitures sont mises à la disposition des clients parisiens pour les essayer. La R4/R3 sauvera la régie, et viendra éponger les dettes de la catastrophique aventure américaine. Elle se vendra à plus de 9 millions d'exemplaires...
Pour donner une suite à la Frégate, et après avoir écarté un projet très coûteux carrossé par Ghia, Pierre Dreyfus valide pour le projet 115. Il sortira le 2 Janvier 1965. Son nom sera R16.
Cette voiture fera date, non seulement dans l'histoire mais aussi dans sa philosophie résolument moderne avec un concept totalement inédit. A la fois berline et break, mais plus pratique que la première avec son hayon arrière et sa modularité intérieure, et plus élégant, plus confortable et résolument plus "standing" que le second. "Dommage qu'elle ne soit pas allemande titrera un journal d'outre Rhin".
La R16 est élue " voiture de l'année" par un jury international sélectionné par un magazine Néérlandais. Il est vrai que l'on n'a pas lésiné sur les moyens pour sortir cette voiture. Pour elle, tout est nouveau. On lui a même construit une usine à Sandouville, près du Havre. Cette usine fabriquera (et fabrique toujours) tous les haut de gamme Renault ( R30, R25, R21, Safrane, Laguna, Vel Satis et Espace). Avec la R16, Renault a désormais une gamme complète: 4CV, Dauphine, Frégate, Renault 4, R8 ( première voiture à être équipée de quatre freins à disques), R10, et la Caravelle encore pour un temps. Renault reprend confiance dans l'avenir.
La R16 avec ses deux créateurs de gauche à droite: Claude Prost-Dame et Gaston Juchet
Afin de dégager un maximum de bénéfices, Renault multiplie les versions de ses modèles en bas de gamme, en puisant dans sa banque d'organes. A la disparition de la 4CV, son moteur lui survira pendant de longues années. S'il va connaître de nombreuses évolutions, il équipera encore... la Twingo. Et bien sur, la R4 en est équipé, du moins celles qui n'ont pas de moteur Gordini.
La R4 va elle aussi connaître une belle et longue carrière avec de nombreuses versions qui vont se multiplier jusqu'à la première crise pétrolière de 1973. Les R4 deviendront ainsi Parisienne, puis Plein Air. En 1969, elles ont une petite sœur en la personne de la R6, un modèle à l'arrière plus étiré qui sera lui aussi modifié plusieurs fois et décliné en une très longue série de différentes versions. L'année suivante, Renault présente au Salon de l'auto la R12, une berline tricorps remplaçante de la R8, qui sera elle aussi un grand succès.
La naissance d'Alpine et l'avènement de Gordini
Cette période faste va permettre à Renault de se construire une belle histoire du côté des modèles sportifs.
Ainsi, Amédé Gordini, mécanicien de génie et fanatique du sport automobile, n'hésite pas à monter sa propre écurie de course. Durant des années il apporte sa patte, avec les nombreux succès que l'on connaît.
En 1958, il accepte la proposition de Renault d'affiner les moteurs moyennant une aide technique et financière. Ses ateliers deviennent rapidement un bureau d'études annexe de la Régie. Jusqu'en 1970, les R8 Gordini font une impressionnante moisson de victoires en rallye surclassant des concurrentes bien plus puissantes. En Juillet 1970, 6 mois après le rachat de la firme par Renault, la R8 Gordini se retire du circuit, pour faire place nette à sa remplaçante, la R12.
Ces succès de la marque en sport automobile vont donner à Renault une superbe image, bien qu'il reste perçu seulement comme un constructeur de... petites voitures malgré la R16 et les autres modèles de la gamme.
Avec Gordini, Renault a commencé à se faire un nom respecté dans le sport automobile. Mais l'arrivée d'Alpine, la marque créée par Jean Rédelé, continue de constituer une formidable image à Renault. La légendaire Berlinette "Tour de France" remportera notamment le championnat du monde des rallyes en 1973, et la même année, l'A441 sera championne du monde d'Europe des prototypes avec 7 victoires en 7 courses !
Au cours de années 1960 et 1970, la Régie, que Charles de Gaulle appelait "ma fille" deviendra l'une des vitrines nationales du progrès technique.
Renault, une des premières entreprises à adopter les mesures sociales
En 1955, la Régie innove en passant à la troisième semaine de congés payés. En échange, elle assure le dialogue avec les syndicats pour la signature du premier accord d'entreprise.
En 1962, Renault est aussi la toute première entreprise à adopter la quatrième semaine, et l'assortit du principe du retour aux 40 heures, qui avaient été abandonnés en 1938, d'une augmentation des salaires de 4% et de la création d'un fond de régulation des ressources.
Renault donne le ton mais est suivi. Cela n'évitera malgré tout pas un dialogue parfois "musclé" et diverses grèves qui feront de Renault le "balcon du syndicalisme".
Renault commence à redevenir international
Alors que de nouvelles usines voient le jour en France, comme celle de Douai, la Régie tente de se développer en exportant. Ses capacités financières ne lui permette pas d'investir dans la constructions d'usines à l'étranger, alors elle doit s'appuyer sur des partenaires locaux afin de produire sur place.
Ainsi, Renault à l'intention de racheter son partenaire brésilien Willys Overland do Brazil, mais, ce rachat échoue et Renault doit se résigner à vendre ses parts à Ford.
Des Renault sont également montées en Roumanie (Dacia avec la R12), Yougoslavie, Afrique du Sud,.....Mais c'est surtout l' Espagne qui deviendra la seconde patrie de la marque.
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