Renault et l'aviation: de Caudron à la SNECMA (1909 - 1945 )
Bien que Renault soit avant tout un constructeur automobile, la marque a toujours été très liée à celle de l’aviation pour pleins de raisons et notamment par son implantation géographique puisque Boulogne-Billancourt et Boulogne-sur-seine abritent les pionniers de l’aviation française en ce début du 20ème siècle. Ainsi Edouard Surcouf y installe ses ateliers de construction de dirigeables, tout comme Gabriel Voisin, sans oublier Louis Blériot. Comment ne pas citer également Farman, dont les frères ont été concessionnaires Renault, et qui fabriquent désormais des avions. Et pour motoriser leurs avions, à qui font-ils appels ? A Renault bien sûr.
L’histoire entre Renault et Caudron est assez similaire. Si celle de Renault débute à la toute fin du XIXème siècle, celle de Caudron débute dix ans plus tard, alors que Renault est devenu un vrai constructeur reconnu et que ce dernier se lance dans la production de moteurs d’avions.
Comme Renault, Caudron est une histoire de famille, de deux frères plus précisément, Gaston et René qui en 1909, créent leur entreprise. Une entreprise qui va rapidement croitre avec la 1ère Guerre Mondiale qui va éclater en 1914, qui comme souvent va pousser les industriels à innover malgré des temps compliqués. Une histoire également marquée, comme souvent à cette époque, par une tragédie, la mort de l’un des frères, Gaston, lors d’un vol de l’un de ses nouveaux avions (le... R.4) en décembre 1915.
Maurice Farman MF-11 à moteur Renault en 1914
Une fois la guerre terminée, Caudron va se lancer dans l’aviation civile qui en est alors à ses balbutiements, avec à la clé de nombreux records et pour motoriser ses avions, Caudron fait également appel à Renault.
A cette époque, Renault est déjà réputé, pour ses voitures bien sûr, mais aussi en tant que motoriste pour l’aviation. Ses débuts remontent en décembre 1908, lors du Salon de l’automobile et de la locomotion aérienne où Renault présente un V8 à 90° de 6,1 litres de cylindrée développant 45 ch. à 1 500 tr/min. dont deux versions sont proposées. La première est refroidie par eau et la seconde par air. Ses moteurs à eau propulseront notamment les dirigeables ASTRA (ex Surcouf) “Ville de Bordeaux” et “Ville de Nancy” tandis que ceux à air trouveront place chez Breguet, Farman ou encore dans le bi-plan Witzig-Lioré-Dutilleul dès janvier 1909. Avant que n’éclate la 1ère Guerre Mondiale, Renault produit alors une gamme complète de moteurs V8 et V12 culminant à 160 ch. en 1915.
Le moteur Renault V8 dédié à l'aviation qui a permis de remporter le Grand Prix Michelin en 1911
Fin 1915, sur demande de l’Etat-Major français, Renault met au point en moins de trois mois deux nouveaux moteurs V12 de 18,4 et 22 litres à 50° culminant à une puissance de 220 ch. (Type 12E et F) puis plus de 300 ch. dès 1917. Ils trouveront place au sein du Breguet M4 et XIV.
Renault devient le premier motoriste d'avions
Une fois la guerre terminée, Blériot, Farman et Renault ouvrent une ligne aérienne commerciale entre Paris et Londres dès février 1919, puis Paris-Bruxelles grâce au Farman Goliath F-60 motorisé par deux moteurs Renault de 300 ch. D’autres lignes (notamment vers l’Afrique du Nord) exploitant des Farman 60 et des Breguet XIV utilisant des moteurs Renault sont rapidement ouvertes.
Les avions motorisés par Renault établissent pendant cette période de nombreux records, notamment le record du monde de distance le 24 mai 1919 avec le Breguet XIV avec 1 900 km, le record du monde de montée avec 2 000 mètres en 7 minutes en 1920 ou encore en octobre 1922, un nouveau record du monde de distance avec le Farman F 60 Goliath.
En 1924, devant l’arrivée d’une forte concurrence notamment anglaise, certaines compagnies françaises fusionnent pour créer Air-Union dont Renault en est actionnaire. En Allemagne la compagnie Lufthansa est créée tandis qu’aux Pays-Bas est annoncée la naissance de KLM.
Devant l’essor de l’aviation commerciale, les moteurs montent en puissance. Renault atteint ainsi près de 600 ch. au milieu des années 20 tandis que les records en tous genres se multiplient. Porté par ces records, entre 1920 et 1930 Renault vend ainsi plus de 11 000 moteurs d’avion, ce qui en fait le plus grand industriel de moteurs d’avion, devant des noms comme Hispano-Suiza jusqu’à la crise de 1929 qui va stopper net cet engouement pour l’aviation.
Pour Renault le coup est dur. D’autant plus que Farman, client depuis toujours de Renault, produit désormais ses propres moteurs. Renault décide de se diversifier et propose désormais des 4 et 6 cylindres, mais aussi des 7 et 9 cylindres en étoile et même un 18 cylindres, soit plus de 20 moteurs différents allant de 95 ch. à 2 000 ch. Mais les records s’estompent. Hispano-Suiza a clairement pris de l’avance, et Renault peine désormais à vendre ses moteurs, notamment les plus puissants ce qui le pousse à se consacrer aux petits blocs.
Renault rachète l’avionneur Caudron
Après avoir fait construire l’aérodrome de Guyancourt dans les Yvelines, ville où Renault a également fait construire bien des années plus tard son Technocentre, Caudron décide de vendre la société à Renault le 1er juillet 1933, qui deviendra Caudron-Renault. Pour redresser l’avionneur, les effectifs passent de 500 personnes en 1933 à plus de 3 000 début 1937.
Sous la direction de l’ingénieur Marcel Riffard, Caudron va renaître avec toute une série d’avions particulièrement aérodynamiques et légers, comme le C-360. Le moteur de ce dernier est dérivé du bloc “Bengali” 4 cylindres en ligne inversés développé en 1928. Pesant 135 kg, il offre jusqu’à 120 ch. de puissance en 1931 puis 170 ch. en 1933 (contre 95 ch. en 1928) avec à la clé le record international de vitesse avec 333.765 km/h sur 100 km.
En 1934, un nouvel avion est présenté avec le Rafale C-450, un monoplan à une place, qui reprend des concepts du Caudron C.362 construit l’année précédente. Pour le motoriser, Renault fait le choix d’une hélice à pas variable automatique Ratier entraînée par le même moteur dit “Renault Bengali Junior” de 6,5 litres de cylindrée qui développe désormais 140 ch.
Pour le piloter, la nouvelle société engage notamment la plus connue des aviatrices, Hélène Boucher qui signera de nombreux nouveaux records, et notamment le record international de vitesse toute catégorie sur 100 km avec un 412 km/h officialisé, mais aussi un autre record sur 1 000 km avec une moyenne de 409 km/h ainsi que le record du monde féminin à 445 km/h.
Alors que l’aviation commence à faire rêver, Hélène Boucher devient une icône pour promouvoir ses modèles sportifs ou de prestiges comme la Vivasport ou Viva Grand Sport.
Malheureusement, l'idylle entre Renault, Caudron et sa pilote star sera de courte durée. Elle trouve la mort à bord de l’un de ces appareils, lors d’essais, le 30 novembre 1934. Son avion accroche les arbres proches de l’aérodrome et s’écrase un peu plus loin. A seulement 26 ans, l’aviatrice décède des suites de ses blessures dans l’ambulance.
Le Caudron Rafale de tous les records
Un autre avion de cette lignée sera également produit, il s’agit du C.460, un avion de 7,11 mètres de long et 6,73 mètres d’envergure conçu pour la Coupe Deutsch de la Meurthe de 1934. Toujours motorisé par un moteur “Bengali” (6Q) mais qui passe à 6 cylindres et 8 litres de cylindrée, il développe jusqu’à 330 ch, le C.460 se distingue du C.450 par son train d’atterrissage rétractable. Grâce à lui, le 25 décembre, Delmotte signe un nouveau record en dépassant les 500 km/h.
Une réplique de cet avion a d’ailleurs été créé aux États-Unis il y a 16 ans, uniquement à base de photos. A la place du moteur Renault introuvable, les équipes ont fait le choix d’un moteur tchèque. En 2023, pour promouvoir son nouveau SUV Rafale commercialisé en 2024, Renault rachète l’avion, et le rapatrie des États-Unis. C’est ainsi que cette superbe réplique fait désormais partie de la collection Renault Classic. Renault a malgré tout prévu de remplacer son moteur par une restauration de celui d’origine.
En 1935, Louis Renault fonde Air Bleu, une compagnie de transport postal pour distribuer le courrier en France. La compagnie se dote bien sûr d’avions Caudron-Renault, le C-630 Simoun, qui sera notamment utilisé par Antoine de Saint-Exupéry. La quasi totalité du courrier postal qui circule la nuit est alors acheminée grâce à un avion Caudron-Renault.
Caudron-Renault C-630 Simoun
Pour Caudron, les années 30 sont clairement des années fastes. Outre le transport postal avec le C-630, on peut également citer les nombreux records qui tombent les uns après les autres avec le Rafale C-460, le bi-moteur (avec toujours le “Bengali” 6 cylindres) tandis que le C-441 Goéland devient également un avion très prisé pour le transport de passagers. Entre 1935 et 1946, il s’en écoulera 1 700 exemplaires.
Caudron-Renault Goéland
Pour promouvoir ses avions, Caudron-Renault crée également une écurie qui alignera outre Hélène Boucher, d’autres femmes comme Maryse Bastié, Adrienne Bolland, Maryse Hilsz pour ne citer qu’elles, qui battront également de nombreux records du monde.
En février 1937, le gouvernement nationalise la construction des avions. La compagnie Air Bleu est intégrée à Air France, mais Renault parvient à conserver Caudron qui devient alors la SMRA (Société des Moteurs Renault-Aviation), les autorités estimant que cette société ne sait produire que des avions de sport.
Deux ans plus tard, la 2nde Guerre Mondiale éclate. Les usines Renault sont occupées par l’envahisseur. L’usine d'Issy-les-Moulineaux est mise à disposition des allemands par le gouvernement de Vichy, qui va y produire des avions Siebel avant d’être bombardée plusieurs fois entre avril et juin 1944. En 1942, les usines Renault de Billancourt également occupées produisent un moteur V12 refroidi par air de 570 ch. pour l’Argus AS-441-TA.
Caudron-Renault est nationalisé au sein de la SNECMA
A la libération, les usines Renault sont nationalisées. La Société des Moteurs Renault Aviation (SMRA) est intégrée à la SNECMA qui deviendra plus tard SAFRAN. Elle ne sera pas la seule puisque Gnome & Rhône et le GEHL, des concurrents de Renault, le seront également.
La SNECMA reprend la production des moteurs Renault 4 et 6 cylindres inversés “Bengali”. Le 4 cylindres de 1928 sera produit jusqu’en 1949 tandis que le second “6Q” de 1932 continuera sa carrière jusqu’en 1950.
Le V12 d’origine allemande, poussé à 600 ch. équipera quant à lui le bi-moteur Dassault MD. Entre 1945 et 1956 près de 3 000 moteurs seront ainsi produits. La fin de l’héritage Renault arrive en 1956 quand la SNECMA abandonne les moteurs à piston pour se consacrer aux réacteurs et aux turbines qui vont équiper le Mirage et le... Rafale.