Espace 1 : 1984 - 1988
1984 n’est pas seulement l’année de l’ouverture des jeux olympiques d’hiver à Sarajevo ou de la célèbre poignée de main entre François Mitterrand et Helmut Kohl à Verdun. C’est aussi celle de la commercialisation du Renault Espace, premier véhicule du genre, de type monocorps, à tenter la conquête du marché automobile européen. Un pari, certes risqué, mais remporté haut la main par le constructeur.
En effet, aujourd’hui, le Renault Espace existe toujours, pour la plus grande joie des clients de la marque au losange et des familles puisqu’il reste une référence en la matière sur le marché. A noter que la famille des monospaces a évolué depuis et s’est beaucoup agrandie. En effet, en 1996 apparaissent les monospaces compacts inaugurés par le… Renault Scénic ! Les monospaces n’ont donc pas de soucis à se faire, peuvent voir la vie en rose et regarder l’avenir avec confiance.
Pourtant les débuts du Renault Espace sont laborieux car il enregistre seulement neuf commandes dès le premier mois de sa commercialisation. Tout le monde était tenté mais personne n’osait faire le premier pas tant que le voisin ne l’avait pas fait. Le but du concept était de faire voyager une famille confortablement en emportant tous les bagages. Près de vingt-cinq années plus tard, il séduit toujours les consommateurs ! Vous l’aurez compris : le « phénomène Espace » n’est donc pas prêt de s’arrêter…
La génèse de l'Espace
Avant de commencer, précisons que selon notre âge –moins de quarante ans- on peut trouver naturel le concept du monospace. En fait, il n'en n'est rien comme le prouve les prémices de cette architecture.
Replongeons nous ainsi dans l'histoire de l'automobile pour constater qu'auparavant, les véhicules étaient principalement organisés de la manière suivante : un moteur à l'avant (et pourvu que le capot soit grand), un poste de conduite (pas couvert aux débuts), un espace passager et un coffre accessible de l'extérieur.
Renault cherche à réinventer l'automobile
Dans les années 50, Pierre Dreyfus alors président de la Régie Renault, remarque que la généralisation de la voiture dans les foyers pouvait entrainer un nouveau mode de consommation pour les familles. C’est ainsi que Renault lance le projet d’un nouveau véhicule permettant la naissance d’un premier prototype le P900 en 1959. L'idée était de proposer un espace de vie dans le véhicule, avec 2 banquettes de 3 places permettant ainsi ce faire voyager 6 personnes. Le véhicule était constitué d'un espace de vie, d'une malle accessible de l'intérieur, et d'un capot permettant d'y loger 2 moteurs de Dauphine.
Véhicule à l'allure surprenante et peu gracieux avec notre regard actuel, on a du mal à discerner l'avant de l'arrière. Il restera à l’état de simple concept-car, n’ayant jamais été produit en série. Pourtant, cette approche de Renault ne sera pas vaine.
En 1961 la Renault 4 apporte un concept bicorps, avec moteur à l'avant, et habitacle/coffre. En 1975, la Renault 16 est un mélange des genres, une berline haut de gamme sans coffre, ressemblant à un Coupé mais disposant de sièges déplaçables tels les futurs monospaces.
Loin de chez nous, aux Etats Unis, le concept de van est déjà très présent, mais peu adapté aux habitudes européennes : trop grand, trop lourd, il consomme trop.
Matra propose son projet
Antoine Volanis, un designer franco-grecque dessine en 1979, à la demande de Philippe Guédon, responsable de la branche automobile de Matra, un véhicule monocorps afin de le soumettre à Jean-Luc Lagardère, PDG de la marque. « Au départ du projet, je voulais conserver une continuité de produit avec ce que l’on pouvait appeler la gamme Talbot-Matra de l’époque, à savoir le Rancho. C’est ce qui explique que mes premiers dessins reprennent le décrochement du pavillon », indique Antoine Volanis. La direction est d’emblée séduite par l’originalité du concept monocorps et décide de pousser le projet plus loin.
Matra propose alors son projet à Peugeot-Talbot. Le premier prototype monocorps de l’ère Talbot s’appelle donc P16 et est étudié sur une plate-formede Talbot Solara. Ce dernier ne roule pas, ses portes ne s’ouvrent pas et ses deux côtes ne sont pas identiques ! Antoine Volanis ajoute : "Les portes coulissantes ont été envisagées mais elles s’avèreront trop complexes et coûteuses. Elles seront rapidement abandonnées".
Puis l’étude progresse petit à petit et les modifications arrivent : le P17 est né. Dans ce deuxième prototype, on retrouve la banquette arrière de la Peugeot 604 et les sièges avant de la Talbot Horizon. Enfin arrive le P18, dernier prototype de la période Peugeot-Talbot.
Le concept P17 de Matra
A cette époque, Peugeot n’a pas une santé financière exceptionnelle et l’entreprise connaît quelques problèmes d’absorption du réseau Talbot. Le constructeur décline alors le projet, Matra se tourne vers Renault deux ans plus tard.
La firme de Billancourt est tout de suite intéressée par le programme mais il doit être reconsidéré. Matra gardera la production du véhicule dans son usine à Romorantin, ce qui tombe particulièrement bien puisque les chaînes de la marque Loir-et-Chérienne ne tournent plus depuis l’arrêt de la fabrication de la Murena. Philippe Guédon a donc gagné : il a sauvé son entreprise… mais ce qu’il ignore encore, c’est qu’une vingtaine d’années plus tard, la perte de l'Espace viendra la condamner.
En passant chez la Régie, Matra va devoir faire des concessions, tout comme Renault d’ailleurs. Le projet initial de Matra ne prévoyait pas de plancher plat, ni de sièges indépendants, et disposait d’un faible moteur.
Renault de son côté voit là un futur haut de gamme et impose ainsi d’en faire un véhicule modulaire bien motorisé. Le plancher plat est ainsi imposé afin de pouvoir le transformer en utilitaire dans le cas où le véhicule ne prendrait pas auprès de la clientèle, tout comme les sièges amovibles que l’on peut positionner différemment dans l’habitacle ou transformer en table afin d’en faire un vrai lieu de vie.
Pour mouvoir le tout, Renault reprend le moteur de la R18 développant la puissance honorable –à l’époque- de 100ch permettant au modèle de filer à plus de 180 km/h.
Le savoir-faire en matière de carrosserie de Matra est bien sur conservé. Celui qui deviendra l’Espace dispose ainsi d’une carrosserie en composite offrant les avantages d’être légère, mais aussi de réduire les coûts de production pour de petites séries.
Un véhicule déroutant
Le Renault Espace est un monocorps, c’est-à-dire que le profil de sa carrosserie ne possède pas de décrochement ni à l’avant ni à l’arrière (le capot se trouve dans la continuité du pare-brise), contrairement aux berlines. En 1984, c’est le premier véhicule de ce type construit en Europe. Au Japon, le Nissan Prairie inaugure le concept, suivit du Mitsubishi Space Wagon et de la Honda Civic Shuttle. Le nouveau joujou de la Régie est qualifié de « salon roulant » et les journalistes le compare au TGV tant il a la forme et la couleur (orange !). Divers éléments sont issus d’autres modèles de la gamme Renault de l’époque. On peut citer entre autres :
- les optiques avant appartenant au Renault Trafic ;
- les jantes de certains modèles d’Espace qui reprennent ceux de la Renault 25 (Espace Turbo DX par exemple…) ;
- le profil des flancs qui rappellent ceux de la Renault 9 et 11 ;
- les sièges avant, en version TSE, qui proviennent de la Renault 9 ;
- Certains éléments de la console centrale, sans oublier les poignées de porte, les manivelles commodos et les poignées de maintien sont toujours des accessoires empruntés à la Renault 9 : généreuse !
De gros moteurs sous le capot de l'Espace
Sous le capot, des moteurs essence et Diesel sont proposées. Les versions Diesel se distinguent des autres par leur nez un peu plus allongé (plus cinq centimètres) à cause de l’encombrement du moteur. Le porte-à-faux avant est donc plus grand et passe de 87 à 92 centimètres, portant la longueur de 4, 25 mètres à 4,30 mètres. En un seul coup d’œil, de profil, on peut donc facilement distinguer une version Diesel d’une version essence.
En version Turbo DX, sur laquelle nous allons nous baser à partir de maintenant, l’Espace est doté d’un moteur Diesel de 2 068 cm3 équipé d’un Turbo, développant 88 ch DIN à 4 250 tr / mn. La boîte de vitesses ne change quasiment pas sauf au niveau des démultiplications des 4e et 5e qui sont plus longues. La direction assistée, la suspension et les freins restent identiques par rapport aux autremodèles antérieurs à mai 1985. Malgré tout, le comportement est différent à cause du poids supérieur. Dans certains cas, la finition peut s’avérer supérieure à celle de certains autres modèles Renault de haut de gamme. Le levier de vitesses étonne tant sa grille est étroite. Ce point a été modifié car dans les premiers modèles, en changeant de rapport, on pouvait toucher les sièges, ce qui pouvait s'avérer gênant.
La direction assistée est très directe mais les impulsions données au volant ne se répercutent pas immédiatement aux roues. Vu que la version Diesel est moins puissante que l’essence, le freinage de l’Espace Turbo DX reste satisfaisant.
Des débuts difficiles
Le Renault Espace est donc présenté à la presse en avril 1984 pour une commercialisation prévue en juin de la même année. Les journalistes sont très enthousiastes car il s’agit d’un tout nouveau concept. En effet, c’est presque incroyable et bien la première fois que l’on peut transporter sept personnes à 180 km / h avec un grand confort. Une légère appréhension de la part de Renault est pardonnable et compréhensible car personne ne sait si le concept va plaire à la clientèle.
Si le succès du roi des monospaces ne peut se démentir au fil des décennies, les débuts sont pourtant très difficiles avec seulement 9 commandes le premier mois de commercialisation en juin 1984, alors que Renault et Matra avaient tablé sur un volume de 54 000 véhicules vendus en 5 ans.
La première année est ainsi compliquée avec seulement 5 923 exemplaires produits, dont 2 703 réellement vendus. En 1985, ce sont 14 083 unités qui sont immatriculés, puis plus de 19 000 l’année suivante, et plus de 23 000 en 1987. En seulement 3 ans, l’objectif est rempli: quel succès !
Un confort plébiscité, le vrai luxe, c'est l'Espace
Renault voulait positionner son Espace en haut de gamme. Le confort et la vie à bord ont donc été un objectif dès le départ, malgré des trépidations désagréables de l’essieu arrière jusqu'en mai 1985 où le montage d’amortisseurs moins durs semble avoir supprimé ce défaut de jeunesse.
Son habitacle est très lumineux car il a une surface vitrée importante. La véritable nouveauté et sans doute la plus révolutionnaire lors de sa commercialisation sont les sièges modulaires et les tablettes mises à la disposition des passagers.
Grâce à cela, le fossé s’agrandit entre le Renault Espace et les voitures traditionnelles. La version sept places est très pratique mais les passagers situés à l’extrême arrière ont peu de place pour les genoux : on lui pardonnera facilement ce défaut.
En janvier 1988, une évolution assez conséquente avec une nouvelle face avant et l’apparition d’une transmission intégrale Quadra arrive sur l'Espace. Les ventes atteignent 192.000 exemplaires.
Le suite de l'histoire...
L'Espace 2 (1991-1997)
Trois ans plus tard, en 1991 l'Espace II (nom de code J63 chez Renault) est dévoilé au salon de Genève. Une nouvelle génération qui illustre bien la volonté de faire évoluer en permanence le concept monocorps. On découvre un modularité accrue, un conditionnement d’air plus perfectionné et de montants de baie plus fins pour améliorer la visibilité.
Le design général s'arrondit poussé par la mode du bio-design, avec notamment les rétroviseurs profilés qui ne font plus qu'un avec la carrosserie.
Pour les 10 ans de l'Espace en 1994, Renault dévoile un incroyable concept-car Espace F1 motorisé par un bloc V10 champion du monde en titre de F1 (Williams-Renault) qui peut rouler à plus de 300km/h … s’il est confié aux mains expertes d’Alain Prost. Véritable véhicule image, il s’agit d’une véritable bombe à une époque où rouler vite faisait encore rêver.
Espace 3 (1996-2002)
Après plus de 315 000 unités immatriculées, l’Espace 2 laisse sa place en 1996 à l'Espace 3 qui franchit le cap des 500.000 en juillet 1996. Ce nouveau modèle marque clairement la montée en gamme dans le segment E. Afin de satisfaire à la clientèle désireuse d’espace supplémentaire, Renault lance une version allongée de 27 cm en janvier 1998.
La ligne générale reste cependant assez proche de sa devancière, mais se modernise largement. Le moteur change de sens et devient transversal permettant de gagner en espace intérieur. Le tableau de bord passe en mode « planche de bord » aérienne avec l’instrumentation en son centre, les commandes de climatisation décalée sur les côtés, et l’autoradio totalement caché.
La planche de bord devient ainsi très spécifique et d’une harmonie comme rarement on a pu en voir dans le domaine de l’automobile et qui sera proposée sur l'Espace jusque la 4ème génération. La modularité est en hausse grâce à un système de fixation des sièges sur des rails. Extérieurement, l’esprit de la Laguna 1 est repris.
Fin 2001 Espace III totalise 18,5 % des ventes de monospaces haut de gamme. Il sera produit à 365.200 unités.
Espace 4 (2002-2014)
Pour la 4ème génération d'Espace, Renault change tout. Exit Matra qui, devant le succès grandissant de l'espace, n'est plus capable de produire suffisamment en étant limité à 300 exemplaires par jours.
Matra devra se contenter de l'Avantime, désormais l'Espace est produit chez Renault à Sandouville. L'Espace abandonne donc les matériaux composites en faveur de l'acier.
Avec des motorisations V6 essence et Diesel, l'Espace IV conforte le positionnement haut de gamme mis en œuvre par son prédécesseur. La carrosserie en composite a laissé place à une structure en acier. Espace IV est produit à Sandouville, sur les mêmes lignes et sur la même plateforme commune que Vel Satis et Laguna.
L'Espace IV est une référence dans la catégorie pour ce qui est confort, comportement dynamique et sécurité (5 étoiles aux tests Euro NCAP). La dernière génération connaît le même succès commercial que les précédentes, elle séduit des nouveaux clients et bénéficie du plus fort taux de fidélité du segment (75% en France et 66% en Europe restent fidèle à Espace). Ce modèle atteint 22,1 % de part de marché sur les 5 premiers mois de 2004.
En 2006, l'Espace 4 est restylée une première fois, puis une seconde fois en 2010 (phase 3). En pleine crise financière, Renault stoppe le renouvellement de son modèle tandis que les ventes baissent. Pour patienter, un dernier restylage apparait en 2013.
Espace 5 (2015-2022)
Nouvelle révolution pour l'Espace. Fini le monospace modulable, désormais, l'Espace est un crossover qui se rapproche des SUV. Véhicule le plus haut de gamme de Renault, l'Espace se rapproche d'une voiture classique. Ce sera malgré tout un échec malgré un très bon démarrage.
Des Renault Espace transformés.
En 1986, le Renault Espace conquiert le marché des ambulances, qui était évalué à l’époque à 1 750 véhicules par an. Deux versions étaient possibles :
- l’une traitée par Sanicar ;
- l’autre par Baboulin.
Des taxis ont aussi vu le jour. On en voyait en Ile-de-France et plus particulièrement à Paris. Il s’agissait d’Espace plutôt spacieux roulant au GPL. Ils portaient les couleurs bleu et rouge (il ne manquait plus que le blanc pour en faire une version présidentielle !).
Etait également prévue un modèle américanisé mais il n’a jamais vu le jour. Dommage ! On aurait bien voulu voir aux Etats-Unis l’Espace chromé de partout avec à ses côtés, son principal concurrent : le Chrysler Voyager.
Les dates clés de l'Espace 1
1981 : Bernard Hannon succède à Bernard Vernier-Palliez à la tête de la Régie Renault. C’est grâce à lui que l’Espace verra le jour.
Juin 1984 : commercialisation du Renault Espace essence. Seulement neuf commandes arriveront lors du premier mois.
Décembre 1984 : lancement des variantes Turbo-Diesel baptisées Turbo D et Turbo DX, dotées d’un 2 068 cm3 de 88 ch DIN. Ces versions ont une calandre proéminente et un porte-à-faux rallongé de cinq centimètres.
1985 : apparition des moteurs 2,1 dT sur la gamme Espace.
Juin 1985 ou 1986 ? : lancement du Renault Espace 2000-1.
1988 : en janvier, le Renault Espace reçoit un léger restyling, de nouvelles motorisations et une version baptisée « Quadra » à transmission intégrale permanente. Le nom « Quadra » sera la cause d’un bras de fer entre Renault et Audi, le constructeur allemand le jugeant trop ressemblant avec « Quattro ».
1991: Commercialisation de l'Espace 2
1994: Présentation d'un incroyable concept-car Espace F1
Chiffres de production du Renault Espace 1 (1984-1987)
1984 : 5 923 exemplaires (dont 2 703 vendus) ;
1985 : 14 083 ex.
1986 : 19 320 ex.
1987 : 23 584 ex.