La 40cv des grands seigneurs
Les années 20 ont en effet généré une débauche de luxe et de signes ostentatoires qui dressa son décor le plus spectaculaire au hasard des concours d'élégance. Carrossiers et couturiers s'associaient lors de fastueuses parades de la créativité qui rassemblait toutes les élites de la société. Le monde de la mécanique côtoyait alors celui de la mode.
C'était comme qui dirait, l'âge d'or pour les constructeurs automobiles. Mais pour de nombreuses marques de luxe, ce temps béni sera très court, avec l'arrivée au cours de la décennie d'une crise économique majeure. La plupart seront balayées sans pitié par la bourrasque soulevée après la crise de 1929. Ainsi on verra de grands noms perdre leur âme ou tout simplement disparaître. Les exemples ne manquent pas : Delage sera happé par Delahaye, Hispano-Suiza se reconvertira, Voisin sera dilapidée, Sizaire fera faillite comme Rolland-Pilain tandis que Rochet-Schneider se consacrera... aux utilitaires.
Parmi les grandes marques de luxe, il faut compter avec Renault. Un cas dans la production mondiale. L'exemple isolé d'une entreprise qui a su mener de front son développement industriel, son essor commercial et son rayonnement populaire, sans mettre en péril la progression vers ce que l'on ne nommait pas encore le haut de gamme.
Car bien que souvent occulté, avant la seconde guerre mondiale, Renault était également une marque de luxe reconnue. L'entreprise française, bien que généraliste, n'avait pas à rougir face à des constructeurs spécialisés tels que ceux mentionnés précédemment. A cette époque, Renault permettait encore aux Français de rêver.
Les débuts de la 40CV
Significative de la splendeur de l'industrie française des années 20, la 40CV existait néanmoins bien avant la Première Guerre Mondiale, très exactement depuis le millésime 1911, seulement deux ans après la 12CV.
En réalité, l'aventure commence avec le Type AR en 1908, motorisée par le premier moteur 6 cylindres de 9 500 cm3 qui donnera naissance au Type BH pendant l'été 1909, conservant ce même moteur mais dont la cylindrée passe à 7 500 cm3.
Automobile très imposante, la 40CV débute en 1911. Propulsée à l'origine par un moteur 4 cylindres de 7,5 litres, le Type CG, est une simple évolution du Type BH dit "50CV léger", sans que le moteur ne change pour autant.
Pour tous les carrossiers, la 40 CV constitue une base de travail privilégiée. Bien qu'assez simple, le châssis de la 40CV est considéré depuis sa création comme l'un des plus majestueux de toute la production européenne, qui en fait un modèle très recherché par les élites qui se l'arrachent. Alfred Belvallette, Henri Binder, ou Georges Kellner comptent parmi les représentants les plus prestigieux des carrossiers: ils s'attaquent au châssis Renault 40 CV.
A cette époque, Renault livre uniquement des châssis nus, qui sont habillés par des carrosseries spéciales. Ce choix sera maintenu assez longtemps chez Renault pour ses modèles haut de gamme, tandis que les voitures plus modestes sont carrossées à l'usine.
Beaucoup de célébrités choisissent alors la 40CV pour parader, la 40CV étant considérée comme la meilleure voiture haut de gamme d'Europe.
La 40CV des années 20
La guerre 14-18 mettra en veille la production automobile. Mais à la sortie de la guerre, la production repart. Quand on évoque aujourd'hui la 40CV de Renault, on se réfère généralement aux modèles apparus dans les années 20.
Le premier, le Type HF est apparu en 1921 et animé par un moteur gigantesque 6 cylindres affichant une cylindrée de 9,12 litres. Comparée aux modèles précédents, cette version est encore plus imposante avec ses 5,12 mètres de long et son empattement de près de 4 mètres, pour un poids de 2,45 tonnes.
Dès 1922, elle se dote d'un servo-frein monté en série (Type JV), un dispositif breveté par Louis Renault en octobre 1921. A cette occasion, le capot devient plus effilé, son moteur passe de 7 500 à 9 100 cm3.
Le Type MC puis NM, probablement la version la plus connue, arrive en 1925. Il donnera naissance à la version sportive qui obtiendra de nombreux records et qui fera une fois de plus la fierté de la France. Elle se reconnait notamment à son logo en forme de losange qui vient remplacer l'ancien logo rond. Cette 40CV sera alors la plus aboutie et se positionnera face à des marques telles que Rolls-Royce, Hispano-Suiza.
Après plus de 20 ans de commercialisation, celle qui est appelée 40CV laissera sa place en 1928 à sa remplaçante: la Reinastella.
La 40CV des grands records
Battu par Bentley en septembre 1925 pour différents records de vitesse jusque là obtenus par Renault, Louis veut reprendre la main avec sa 40CV. Depuis ses débuts, Renault se fait connaitre grâce à des victoires lors de célèbres compétitions internationnales, comme le Paris-Vienne de 1903 remporté par son frère. Il ne peut donc laisser ses concurrents lui ravir ces records.
Il décide ainsi d'engager sa 40CV pour aller récupérer la notoriété apportée par ces divers records de vitesse. Utilisant deux carrosseries différentes, une deux places ouvertes pour la tentative la plus courte et une monoplace aérodynamique pour la plus longue, la 40 CV spéciale bat les records des 3 heures et des 24 heures établissant de nouveaux jalons aux 1 000 et 2 000 miles et aux 1 000, 2 000 et 3 000 kilomètres.
Fort de sa notoriété acquise depuis le début du siècle et de ses succès en compétition, Renault exporte de nombreux châssis de luxe aux États-Unis au début du 20e siècle, dont la 40 CV. L'agence américaine de la marque décrivait fièrement la Renault dans ses publicités comme « la voiture qui dure pour toujours ». Arborant une imposante carrosserie Henri Binder, cette 40 CV a été vendue neuve à New York et est décrite dans le bon de livraison de l'usine comme un modèle « Sport » avec carrosserie « cabriolet Pillion ».
La 40CV présidentielle signée Kellner
L'une des 40CV les plus connue est l'oeuvre de l'entreprise Kellner qui signe le dessin de la 40 CV présidentielle. Il s'agit de l'une des entreprises de carrosserie les plus anciennes de France.
Née bien avant l'invention de l'automobile de grande diffusion, elle fut crée en 1860 par Georges Kellner, un ouvrier sellier d'origine autrichienne.
Une 40CV Type MC présidentielle signée Kellner
A une époque où les attelages assuraient l'essentiel de la locomotion routière, mais juste avant l'avènement de l'automobile, en janvier 1880, les deux fils de georges Kellner, Paul et… Georges, prennent les rênes de l'entreprise.
Leurs ateliers s'orientent vers l'automobile en 1884 et la raison sociale évolue en Mars 1910 en devenant Kellner Frères. Peut-être par proximité, Kellner se trouvant à Boulogne, route de Versailles, l'entreprise travaille étroitement avec Renault.
On se souvient bien sûr des Torpédos "scaphandriers" qui furent les caisses les plus fameuses montées sur les châssis 40 CV. Cette collaboration se poursuit activement jusqu'à la seconde guerre mondiale avec la Reinastella. Mais tout se stoppe brutalement. Jacques Kellner est arrêté en 1941 et fusillé l'année suivante au Mont Valérien.